[ficlet] Percy Jackson: Into Vinceres
Aug. 13th, 2023 02:36 pm![[personal profile]](https://www.dreamwidth.org/img/silk/identity/user.png)
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Prompt : Percy/Arès pour sushivore/Az.
C’est toi-même qu’il faut vaincre.
Pour être honnête, Percy n'avait pas eu la moindre intention de provoquer une bagarre en rentrant dans le diner défraîchi qui traînait au coin de l'unique rue du trou perdu dans lequel il venait d'atterrir.
Il cherchait au contraire à faire profil bas en évitant les transports en commun au maximum et en évitant de prendre les principaux axes routiers. Le dernier automobiliste qui avait eu pitié de lui avait accepté de le prendre en stop jusqu'à Lebanon, une ville un peu paumée en plein milieu du Missouri. Le fils de Poséidon avait chaleureusement remercié le mortel, un quadragénaire vaguement soucieux qu'un jeune homme de l'âge de Percy vagabonde seul au milieu de nulle part sans rien d'autre qu'un sac de sport et un sweat à capuche sur le dos, mais il avait suffi d'un bobard à propos d'un road trip en solitaire à la "Into the Wild" pour effacer tout inconfort du visage de l'inconnu. Percy avait retenu un sourire amer en contemplant le pick-up du père de famille disparaître avant de reprendre son voyage : à l'âge de vingt-deux ans, majeur et en pleine possession de ses moyens, il sembler attirer davantage d'attention et de sympathie de la part des mortels autour de lui qu'à l'époque où il était encore adolescent et terrifié, pourchassé par des monstres sans relâche et presque constamment au bord de la mort. Vraiment, quelque chose dans le monde ne tournait pas rond.
C'était peut-être cette douloureuse impression d'étrangeté, l'amertume d'une cinglante solitude qui l'avait lancé sur les routes avec la rage d'un forcené à la veille de l'été, ne laissant derrière lui qu'une lettre griffonnée à la hâte pour sa mère et un SMS nébuleux dans la messagerie d'Annabeth. Une visite au Bungalow d'Hécate couplée à une offrande conséquente s'était imposée la veille de son départ : Percy présumait peut-être un peu trop en demandant à Lou Ellen de quoi fabriquer un talisman qui le rendrait difficilement détectable pour quiconque se lancerait sur ses traces mais il n'avait pas la moindre envie d'envoyer tout le panthéon grec et autres consorts à ses trousses, pas alors qu'il avait désespérément besoin de calme.
Et bien évidemment, après trois bonnes semaines à vagabonder à travers les États-Unis sans autre direction que le vague désir d'aller vers l'ouest (vers les Enfers, la Nouvelle Rome ou l'Alaska – peu importait), il avait fallu qu'il gâche tout en mettant les pieds dans l’unique diner d'un bled paumé du Missouri.
Les Parques devaient vraiment le détester.
Il n'avait même pas eu besoin de prononcer le moindre mot pour s'attirer des problèmes, cette fois-ci ; il s'était simplement accoudé au comptoir en comptant sa monnaie, espérant avoir au moins de quoi s'acheter un hot-dog avant de profiter de la lumière tombante pour repartir lorsqu'un des clients, un barbu déjà salement aviné si on en jugeait par l'odeur d'alcool qui se dégageait de son haleine, s'était penché vers lui pour lui cracher à la figure avant de siffler, assez fort pour que tous les clients entendent :
— Dégage d'ici, pédale.
Le poing de Percy était parti tout seul.
Il comprit son erreur quelques secondes plus tard, lorsqu'une meute de types à la mine aussi patibulaire que le connard homophobe qui venait de l'insulter se levèrent d'un bond depuis le fond du bar pour se jeter au secours de leur pote, tout en proliférant des insultes de leur cru. Face à une bande de mortels aux mœurs d'un autre âge, Turbulence ne lui servirait à rien, aussi Percy s'était-il contenté de lever les poings et de montrer les dents dans un air de défi.
Il n'avait peut-être pas cherché la bagarre mais qu'il soit maudit s'il cherchait à se dérober à celle-là.
Lorsque le vrombissement familier d'une moto se fit entendre dans l'allée qui menait au diner, Percy avait déjà refait le portrait de la moitié de la bande de rednecks et était en train d'essayer de jeter à terre les deux lâches qui tentaient de lui immobiliser les bras dans le dos pour que Joe l'homophobe puisse enfin lui casser proprement la figure. Derrière le comptoir, le gérant s'époumonait dans un téléphone tandis que le reste des clients observaient la scène depuis leur table. La plupart d'entre eux filmaient la rixe d'un air ébahi, partagés entre la peur et l'excitation. Percy ignorait s'il devait les mépriser ou les plaindre : pour des gens qui n’avaient rien de mieux à faire que de contempler les prairies du Missouri, les animations devaient être rares.
La porte du diner s'ouvrit dans un claquement sec. Le monde entier retint son souffle.
— Hey, tocard.
Le demi-dieu pesta entre ses dents et profita de la surprise générale pour projeter les deux assaillants qui lui immobilisaient les poignets au sol.
— Je suis occupé, Arès, maugréa-t-il en jetant un regard noir au dieu de la guerre. Ce dernier arborait toujours une dégaine de motard aux cheveux coupés en brosse mais il avait laissé tomber les grimaces méprisantes et les rictus pour un air sincèrement amusé. Derrière ses lunettes de soleil, des flammes rouges et noires dansaient furieusement.
— Je vois ça, répondit-il, autorisant un petit sourire à étirer ses lèvres.
— T'es qui, toi ? siffla l'un des potes de Joe l'homophobe – Percy décida de l'appeler Robert – qui s'était relevé tant bien que mal, le visage en sang. Son regard furieux était dirigé vers Arès et à en juger par le sourire grandissant qui déformait son déguisement mortel, l'Olympien devait adorer l'attention. Une autre tafiole ? Quoi, t’es son mec ?
Était-ce l'aura sanglante du dieu qui lui embrouillait l'esprit ou le souvenir douloureux des commentaires salaces que Gaby Pue-Grave et ses copains de poker s'amusaient à lui envoyer à la figure ? Percy n'aurait su dire – et à vrai dire, il s'en moquait. Tout ce dont il se souvenait, c'était d'avoir empoigné Robert, de l'avoir plaqué contre le comptoir et d'avoir entendu les os de son nez craquer sous ses poings tandis que le reste des clients du diner se levaient d'un seul homme pour se jeter dans la mêlée.
Au milieu du chaos, miraculeusement intouché par les coups de poing et de pied qui volaient autour de lui, Arès contemplait le fils de Poséidon avec une satisfaction non-dissimulée. Ce dernier finit par relever la tête et croiser le regard du dieu, la même lueur de défi dans le regard que celle qu'il avait eue dix ans plus tôt lorsqu'il l'avait défié sur la plage de Santa Monica. Sans crier gare, il s'élança vers l'Olympien et empoigna le col de sa chemise rouge, vaguement surpris de voir qu'ils avaient presque la même taille à présent.
— Va-t'en d'ici, Arès, cracha-t-il, ses lèvres tordues dans une moue féroce qui aurait fait gronder Lupa de fierté. Dis à ton père de rappeler sa meute. Je ne suis pas le jouet de l'Olympe.
— Tu penses que tu peux m'échapper si facilement, Jackson ? répondit Arès, son sourire laissant apparaître une rangée de dents étrangement pointues. Tu l'as constaté toi-même, non ? Tu peux chercher à faire profil bas toute ta vie, à couvrir chaque centimètre de ta peau de grigris et de symboles magiques, tu peux chercher à t'enfuir en Alaska si tu le veux – tes meilleurs efforts ne pourront rien y faire. Tu as la guerre dans le sang. Quoique tu fasses, je finirai bien par te retrouver.
— C'est juste une brute qui a cherché à m'humilier, se défendit Percy, indigné que le dieu de la guerre en personne se permit une comparaison si triviale. Ça n'a rien à voir avec la guerre.
La guerre, c'était voir des amis mourir sans pouvoir leur offrir de sépulture, c'était tenir debout jusqu'à ne plus avoir de souffle, se battre jusqu'à ce que la douleur ne finisse par vous abrutir, résister jusqu'à ce que le corps abandonne et ne s'autoriser à pleurer qu'une fois certain d'être seul. La guerre, c'était la nausée qui venait avec l'incertitude de ne pas survivre au lendemain, le goût métallique du sang perpétuellement collé sur la langue, le sel des larmes à jamais incrusté dans vos yeux et qu’il fallait ravaler parce que le sort du monde entier dépendait de vous. La guerre, c'était envoyer des enfants à la mort et ne pas trouver les mots pour s'excuser d'être encore en vie.
Cette misérable rixe dans un bar rempli de lâches et de préjugés d'un autre âge, une guerre ? Risible. Inconcevable.
Et pourtant, le visage radouci d'Arès lui criait le contraire. Sa voix, lorsqu'elle parvint de nouveau aux oreilles du demi-dieu, semblait plus grave, comme provenant d'un autre temps, d'un monde qu'il essayait désespérément de fuir.
— Oh, Persée. Ce n'est pas le conflit autour de toi qui importe. C'est celui qui te ronge de l'intérieur.
Percy se mordit violemment la langue, s'empêchant par la même occasion de répliquer avec toute la rage qui faisait trembler son cœur.
Il savait, quelque part au plus profond de lui, qu'il ne pouvait pas blâmer Arès. Qu'il ne faisait que retarder une échéance qu'il n'osait pas s'avouer depuis longtemps. Sa fugue était la preuve évidente de son incapacité à s'adapter à un monde qui s'efforçait chaque jour de le repousser. Il ne s'était pas accommodé à l'université comme Annabeth, n'avait pas trouvé sa voie en entraînant les futures générations de demi-dieux comme Clarisse, n'avait pas cherché à se forger une identité loin du monde des dieux comme Piper. Il avait survécu, contrairement à Jason, et cet acte même semblait défier le destin lui-même. Le monde lui semblait trop étroit, trop cruel et indifférent pour qu’il puisse vivre dedans.
Sous sa peau, quelque chose de dangereux brûlait.
Et pourtant, il n'en voulait pas. Il n'avait jamais voulu. Il avait longtemps cru pouvoir se contenter de vivre simplement, d'avoir un travail, un abonnement à la piscine, un téléphone portable et des factures à payer – mais les attaques de monstres et les visites incessantes du panthéon grec avaient tué cette opportunité dans l'œuf. Il avait même été tenté de se jeter à la mer, de laisser le royaume de son père l'avaler jusqu'à ce que le monde oublie son nom ; seule la hantise de briser le cœur de sa mère l'avait retenu, à l'époque. Il savait que Poséidon aurait été ravi de le voir embrasser la vie sous l'océan, l'aurait accueilli auprès de ses sujets sans poser de questions, mais Sally Jackson n'avait pas élevé un lâche et il ne se serait jamais pardonné d'être parti sans dire au revoir.
Pas après Héra, pas après Gaïa, pas après le Tartare...
Son front toucha l'épaule d'Arès, presque contre sa volonté. Autour d'eux, les cris et les coups s'étaient étouffés, réduits à un murmure chatoyant qui battait au rythme de l'ichor pulsant sous la peau du dieu.
— Je n'en veux pas, se plaignit-il, conscient qu'il n'aurait aucune sympathie de la part de son interlocuteur divin. Une main chaude vint cependant se loger sous son menton, le tirant gentiment vers le haut jusqu'à ce que son regard embué croise celui de l'immortel. Au lieu de la vision d'un feu turbulent, le jeune homme fut surpris de croiser une paire d'iris sombres. Les yeux d'Héra, songea Percy.
Ils semblaient tristes et fiers à la fois.
— Et pourtant, tu l’as fait tien. Où que tu ailles, il te suivra.
Et où il te suivra, je serai, entendit le héros dans sa tête avant qu’une paire de lèvres sur les siennes ne réduise ses pensées au silence.
Le contact fut bref, à peine davantage qu’une pression chaste, mais il suffit à Percy pour que ses nerfs prennent vie et commencent à chanter, pour que ce quelque chose qu’il avait profondément enfoui en lui depuis le Styx se mette à vibrer au même rythme que l’essence divine qui pulsait sous la peau factice du dieu. Le calme avait repris ses droits sur le diner, les mortels s’écartant finalement les uns des autres dans un silence hébété, comme si la fièvre sanglante qui s’était abattue sur eux venaient de se dissiper d’un coup dans la brise du soir.
Comme si…
— Qu’est-ce que ça veut dire ? murmura Percy contre la bouche d’Arès, réluctant à l’idée de rompre la fragilité qui s’était installée entre eux.
Son interlocuteur se fendit d’un petit rire, cristallin et cruel à la fois. Lorsqu’il rouvrit les yeux, les flammes rouges de la guerre y dansaient de nouveau – une menace, une promesse et un défi tout à la fois.
— Que lorsque tu auras terminé de te battre contre l’inévitable, je serai là, répondit-il, un rictus familier déformant son visage. Prêt à te voir réclamer la place qui te revient de droit. Prêt à ce que tu me prouves enfin que tu es digne de ton héritage. D’ici là…
Arès acheva sa phrase sur un clin d’œil et tourna les talons. En un battement de paupière, il avait disparu – laissant derrière lui une atmosphère lourde, remplie de tension et de l’odeur métallique du sang.
Sans réfléchir, Percy porta ses doigts à ses lèvres – celles qu’Arès avait embrassées quelques minutes plus tôt, celles qui avaient bu ses paroles comme la promesse d’une oasis. Elles le piquaient étrangement : il avait reçu quelques coups de poing bien sentis plus tôt (Joe, Robert et leurs potes pouvaient aller se faire foutre) et il était sûr qu’elles s’étaient fendues sous les phalanges des rednecks. Quelque chose s’était mis à couler sur la pointe de sa langue – un liquide lourd, qui lui rappelait la senteur de l’ozone et de l’ambroisie.
Lorsqu’il retira sa main, celle-ci était teintée d’or.