kandai_suika: (dolores)
[personal profile] kandai_suika
Titre : mater dolorosa
Auteur : [personal profile] kandai_suika
Fandom : Encanto
Personnages/Couple : Dolores Madrigal, Isabela Madrigal/Mariano Gúzman, Alma Madrigal.
Genre : Angst, Famille.
Rating : PG
Disclaimer : Disney, Jared Bush, Byron Howard.
 
Résumé : Le début de la relation entre Isabela Madrigal et Mariano Guzmán, à travers les yeux de Dolores. Ou encore : être averti de son futur ne veut pas dire qu'on y est préparé.
 
Note : Publiée en mars 2022. Non-relu.
Continuité : Dix ans de solitude verse. Se passe un an avant le film.
Taille : ~2,800
 
Et à toi-même une épée te transpercera l'âme, afin que les pensées de beaucoup de cœurs soient dévoilées.
Luc 2 : 35

Le vingtième anniversaire d’Isabela avait marqué le début de quelque chose de nouveau pour la Familia Madrigal.

Dès qu’elle avait atteint l’âge de dix-sept ans, l’aînée des petits-enfants Madrigal avait vu quantité de prétendants se presser à la porte de Casita, leurs plus belles chemises sur le dos et leurs bras remplis de bouquets pimpants et autres breloques inutiles. Ils avaient été reçus poliment – c’était une règle qui tenait à cœur à Alma, entretenant l’image de la Casa Madrigal comme un refuge et une forteresse à la fois, le premier et dernier rempart dont l’Encanto aurait jamais besoin – et été congédiés avec la même délicatesse, entre deux sourires un peu forcés et le café du goûter. Abuela n’avait pas daigné insister face à l’indifférence première d’Isabela (« elle est encore jeune, après tout, elle aura bien le temps de penser à ces choses-là par la suite ») mais l’approche du cinquième anniversaire d’Antonio avait fait naître dans les yeux de leur grand-mère une ombre qui coupait systématiquement la respiration de Dolores.

Elle savait que si elle osait regarder, elle trouverait la même ombre dans le regard de ses parents, dans ceux de sa tante et de son oncle. La même terreur que celle qui avait agrippé leur cœur neuf ans auparavant, lorsque la main de Mirabel avait glissé sur sa porte et que celle-ci, au lieu de s’ouvrir et de dévoiler le potentiel qui sommeillait en sa plus jeune cousine, s’était écroulée comme un château de sable. La même question qui hantait leurs nuits depuis la naissance de son plus jeune frère.

Et si leur magie était réellement en train de se consumer, malgré leurs efforts et leur ferveur ? Et si la cérémonie d’Antonio se passait exactement comme celle de Mirabel ? Qu’adviendrait-il de son frère, de celles et ceux qui viendraient après lui ? De la future génération des Madrigal, celle qu’Abuela ne verrait peut-être pas grandir et prospérer ?

Dolores savait à quel point cette question pesait sur le cœur de sa grand-mère, elle qui murmurait ses doutes et ses frayeurs les plus secrètes contre le portrait impassible de son défunt mari chaque soir. C’était son privilège autant que son fardeau, d’être le témoin silencieux des égarements de sa grand-mère et pourtant impuissante face à l’immensité d’un tel chagrin. Si elle avait été une femme un peu plus courageuse, elle aurait probablement pris un marteau et fracassé les planches qui séparaient leur oncle du reste de la famille, aurait exposé toutes leurs peines et leurs sales petits secrets en hurlant – mais Dolores n’était pas l’enfant choyée des Madrigal que tout le monde se plaisait à jalouser et à admirer à la fois, la petite femme parfaite à qui chaque fille du village voulait ressembler et que tous les garçons rêvaient d’épouser.

Non, Dolores était la sapa, celle qui connaissait tous vos secrets sans même chercher à les connaître, celle dont les grands yeux et les lèvres pincées mettaient les gens mal à l’aise lorsqu’ils y pensaient un peu trop longtemps. Dolores était celle qui marchait dans l’ombre d’Isabela, ses yeux et oreilles grand ouverts et l’Encanto tout entier la regardait avec gêne avant de détourner le regard.

Dolores n’était ni brave, ni vaillante. Ce n’était pas le don que Casita lui avait alloué, ni ce que la Familia exigeait d’elle – alors elle se contentait d’observer et d’écouter.

Elle avait observé la tolérance bienveillante d’Abuela se ramifier, se transformer en un subtil jeu de questions et de suggestions doucereuses. L’assurance du « tu as bien le temps » s’était progressivement transformée en de petites inflexions savamment voilées « pourquoi tu n’essaierais pas, pour voir ? » et les prétendants qui passaient étaient invités à rester un peu plus tard que l’heure du goûter, renvoyés chez eux avec des au revoir joviaux et une proposition à les rejoindre pour une tasse de thé dominicale. Bien sûr, Abuela n’insistait jamais au-delà de la limite du convenable : elle n’avait voulu d’aucun mariage arrangé pour ses enfants, avait mis un point d’honneur à laisser ses deux filles choisir le prétendant qui faisait vibrer leurs cœurs et à son fils de rester un vieux garçon endurci et Dolores savait qu’elle souhaitait la même chose pour tous ses petits-enfants : le bonheur et la sécurité, au prix de sa propre quiétude s’il le fallait.

Elle savait également que les souhaits d’Isabela étaient bien différents.

Elles avaient grandi ensemble, Isa et elle, inséparables dès leurs premières années et toujours complices malgré l’étage qui les séparaient – un peu à l’image de ce qu’avaient été Camilo et Mirabel, autrefois. Elles en avaient vécu, des petits tracas et des grandes joies, depuis les après-midis improvisés à jouer aux pirates et aux princesses dans l’arrière-cour de Casita (et très souvent, Dolores jouait le rôle du prince, Isabela celui de la reine des pirates et Luisa celle de la princesse à sauver) aux premiers draps tâchés de sang qu’elles avaient lavés ensemble avec leurs mamans et aux commérages sur les plus beaux garçons du village. Plusieurs fois, elle avait envié Isa d’avoir des sœurs qu’elle pouvait se permettre d’inviter telle une reine dans sa chambre tapissée de fleurs pour présider des soirées improvisées entre filles, histoire de refaire le monde tout en se poudrant les joues et en buvant du sirop d’agave. Dolores était conviée à ces petits rendez-vous, évidemment, et elle devait s’avouer qu’elle n’aurait manqué pour rien au monde ces moments rares de complicité féminine, même si elle avait dû se résigner à les partager avec Luisa puis, plus tard, avec Mirabel. Devenues aussi douces qu’amères, ces rencontres heureuses avaient perdu cette saveur d’avant, ces fragments d’intimité écorchée au cœur de leurs tourmentes adolescentes pendant lesquels ni Dolores ni Isabela ne cherchaient à faire semblant.

Elle lui manquait, parfois, la vraie Isa.

Celle qui courait à pieds nus dans la jungle en se prenant pour un brigand de grand chemin, celle qui déchirait ses robes et n’avait pas peur de rentrer barbouillée de terre, celle qui jurait dans le dos des garçons qui se montraient un peu trop grossiers. Celle qui avait regardé sans trembler les yeux sans couleur de leur oncle et avait exigé de savoir ce que le futur lui réservait, malgré les légers hoquets de peur qui s’étaient logés dans sa gorge.

(Dolores l’avait admirée pour cela, à l’époque. Elle l’avait détestée aussi.)

(Cette destinée dont j’ai tant rêvé… Mon pouvoir aussi fort qu’un soleil d’été…)

Même agenouillée sur son lit d’orchidées, au milieu de la cire pour lustrer les ongles et des peignes à cheveux, au milieu de ses petites sœurs qui la fixaient avec adoration, Isabela Madrigal prenait la pose. Récitait un texte qu’elle s’était efforcée d’apprendre par cœur dans les heures les plus secrètes de la nuit, même si cela lui brûlait la gorge et lui arrachait la langue.

Même si cela brisait le cœur de Dolores, en silence.

Tout cela lui semblait loin, à présent, lui donnait l’impression de jeux de petites filles naïves au milieu d’un monde qui continuait de changer et de changer encore. Ils s’étaient envolés, les contes de fées que Tío Bruno leur racontait avant la berceuse du soir, les soupirs après le prince charmant et les rêves d’aventure qui avaient bercé leurs rêves ; depuis, il y avait eu la cérémonie de Mirabel, la respiration de Tío Bruno derrière le mur de la cuisine, la naissance de Toñito et avant longtemps, l’œil tendre, parfois complice d’Abuela, s’était tourné vers l’aînée des petits-enfants, sévère et terrifié tout à la fois.

Et à Isabela – brave, vaillante, Isa qui s’était entraînée pendant des mois pour que ses gestes aient l’air aussi gracieux que ceux d’une ballerine, pour qu’aucun de ses pas ne trébuche jamais en public et que sa posture soit toujours parfaitement droite, même si cela faisait crier son dos – de répondre avec un sourire aérien « sí, Abelua, quelle délicieuse idée, Abuela » lorsque cette dernière lui avait annoncé que Mariano Guzmán l’invitait officiellement à prendre un pique-nique (en tout bien tout honneur et chaperons compris).

Et à Dolores de se mordre les lèvres parce qu’elle n’était pas brave, ni vaillante, ni l’étoile de la famille mais elle savait écouter et observer – et cela faisait longtemps qu’elle écoutait Mariano Guzmán.

Mariano était un bon parti, aucune demoiselle en âge d’être mariée ne l’ignorait. Héritier en ligne droite d’une des familles les plus influentes de tout l’Encanto, il avait été élevé sur les genoux de sa grand-mère et passait le plus clair de son temps à s’occuper de sa mère malade, lorsqu’il ne composait pas en secret des poèmes d’amour. C’était un garçon un peu naïf mais simple et honnête, comme les princes des contes de fée, et totalement du genre à s’enticher de la première fille qui lui rendait son sourire. Dolores avait secrètement espéré qu’un jour, il lui rendrait le sien au milieu de la foule avant de rentrer chez lui pour déclamer des vers sur l’ovale de son visage ou la douceur de son regard – ensuite, ses rêves s’emballaient, prenaient le pas sur sa raison douloureuse : elle le complimenterait sur ses talents au détour d’une rencontre fortuite, il répondrait avec gêne mais sincérité à ses questions flattées et leurs mains se trouveraient au milieu de leurs déclarations, hésitantes mais passionnées…

Au lieu de ça, Mariano s’était présenté à la Casita Madrigal pile à l’heure pour emmener sa prima en pique-nique et elle les avait regardé partir vers les collines qui bordaient les plus beaux paysages de l’Encanto, bras dessus bras dessous, avec un goût amer dans la gorge.

(Il m’a dit que l’amour de ma vie allait se marier…)

Elle avait presque espéré qu’Isabela le déteste, comme elle avait détesté tous ses prétendants jusqu’à maintenant. Mais la réponse que sa cousine leur avait fournie lors du petit-déjeuner qui avait suivi leur premier rendez-vous avait achevé de broyer le cœur de Dolores.

— Il est… charmant, avait-elle répondu à Abuela, un sourire angélique perlant à ses lèvres. Tía Julieta avait haussé un sourcil mais s’était tue devant l’enthousiasme exagéré dont sa mère faisait preuve. Face à elle, Dolores avait caché son malaise en avalant son café de travers ; son désir d’arracher à mains nues les briques de la cuisine et de se terrer au fin fond des murs de Casita, comme son oncle l’avait fait presque neuf ans auparavant, n’avait jamais été aussi brûlant en ce jour-là. Mais cela voudrait inévitablement dire faire face à Tío Bruno et s’il y avait bien quelque chose qu’elle n’avait pas le courage de faire, c’était d’affronter les yeux verts et ravagés par la tristesse de son oncle.

« Lo siento, Lola, je suis tellement désolé – oh non, ne pleure pas, Lola, Lolita, maldición, je n’aurais jamais dû dire ça, je n’aurais jamais dû, ces maudites visions ne sont pas bonnes pour la famille, tu sais… »

— Il est encore un peu trop tôt pour dire, avait continué Isabela, ses mots creux et parfaits piétinant le reste du cœur de Dolores comme une danse endiablée, mais je crois qu’avec le temps, nous pourrions être amenés à nous apprécier.

Nous apprécier, avait-elle dit, Isa la belle, Isa la fière, Isa qui pleurait le soir dans ses oreillers de soie quand elle pensait que personne ne l’écoutait. Pas même s’aimer, pas même se complaire dans le chemin que la vie leur aurait tracé. S’apprécier, comme on apprécie vaguement son voisin ou la personne qui vous rend de temps à autre service sur le chemin du retour. S’apprécier, comme on n’apprécie même pas un ami, alors que le cœur de Mariano brûlait d’amour à offrir et que celui de Dolores ne demandait qu’à recevoir.

Pour la deuxième fois de sa vie, Dolores se surprit à haïr sa cousine.

(La première fois, ça n’avait même pas été sa faute.)

(Elle se souvenait encore des mots de Tío Bruno à l’époque, tremblant sous la fatigue que les questions persistantes d’Isabela avaient fait naître en lui, des chuintements du sable et de sa voix rauque chantant ses prédictions, dévoilant un futur baigné de gloire pour l’étoile des Madrigal. Elle se souvenait de la curiosité qui lui avait rongé les entrailles à l’époque, des questions que son propre futur avait fait naître en elle, de silhouettes vertes tournoyant sur l’émeraude et de ses pleurs, si assourdissants qu’elle s’en était rendue malade.)

(Elle se souvenait d’avoir répondu par le silence le plus absolu, d’avoir couru dans sa chambre et de s’être cachée sous les couvertures avec son nouveau secret, honteuse et furieuse et tellement, terriblement seule.)

(Elle se souvenait avoir détesté Isabela avec la passion du soleil, jusqu’à ce que sa cousine frappe à la porte et vienne se lover contre elle, des excuses sur le bout des lèvres et un bouquet de dahlias à la main.)

(Elle se souvenait de la façon dont Tío Bruno l’avait évitée, après.)

Dolores avala sa dernière gorgée de café et leva les yeux sur Isabela qui n’avait pas quitté Abuela des yeux, jaugeant et souriant comme si elle était la vedette montante d’une des telenovelas que Tío Bruno se plaisait à raconter, même caché derrière ses murs. Sentit sa rage quitter ses poumons pour être remplacée par une bouffée de compassion.

Oh, Isa, je te vois, tu sais. Tu n’as pas besoin de faire semblant, pas pour moi – aurait-elle pu dire, si elle avait été plus courageuse.

— Je suis heureuse pour vous, se contenta-t-elle de murmurer, sincère malgré son amertume.

Elle n’enviait pas sa cousine, malgré tout ce que l’on aurait pu croire. Elle n’enviait pas ses sourires faux, ses pas de ballerines, la façon dont elle tordait son dos pour faire bonne impression devant Abuela. Elle n’enviait pas les mensonges qu’Isabela faisaient avaler à sa mère, ses « Je vais bien, tout va bien » qui sonnaient faux aux oreilles de tous et qui passaient quand même, enrobés dans le miel de ses efforts. Elle n’enviait pas la prophétie que Bruno lui avait donnée, dix ans auparavant, et ses promesses d’un futur radieux éclosant au milieu d’un mariage sans amour. Elle n’enviait pas sa relation avec ses sœurs qui se détériorait au fur et à mesure que les espoirs d’Abuela se cristallisaient sur son futur mariage. Elle n’enviait pas la façade lisse et sans défauts qui cachait les pleurs et les remords, les colères et les frustrations, la terreur de faire défaut à leur famille, de causer davantage de peine à leur Abuela.

(Leur Abuela qui pleurait presque tous les soirs, après avoir prié sur le portrait d’Abuelo, leur Abuela qui pleurait son fils disparu, son mari emporté et la vie qu’elle n’avait jamais eue. Leur Abuela, à qui Isa ressemblait tellement et pourtant, et pourtant…)

Lorsqu’Isabela accepta son quatrième rendez-vous avec Mariano, Dolores s’enferma dans sa chambre insonorisée et laissa ses derniers regrets couler sur ses joues.

Elle savait qu’il serait compatissant. Au moins, Mariano prendrait soin d’elle, même si leur mariage ne se fondait que sur l’appréciation – parce qu’il était gentil, honnête, incapable d’être retors ou délibérément malveillant et que Dolores l’aimait pour ça, aussi. Au moins, elle garderait Mariano dans sa vie – un rêve, une chimère à laquelle elle n’avait pas pu s’empêcher de croire mais une douceur néanmoins, un trésor secret qu’elle ne parviendrait pas à regretter.

Et peut-être que cela leur suffirait, finalement.

(L’amour de ma vie allait se marier à une autre que moi…)

Le soir où Isabela leur annonça qu’elle envisageait de se fiancer à Mariano, quelques mois avant la cérémonie d’Antonio à peine, Dolores resta en arrière pour débarrasser la table et nettoyer la vaisselle. Tía Julieta et Tío Agustín s’étaient isolés dans la chambre de leur aînée, désireux de parler d’avenir, et le reste de la famille s’était progressivement éclipsé dans l’allégresse du soir.

Pendant un long moment, elle contempla le portrait de leur arbre généalogique, sa respiration se calquant inévitablement sur les battements de cœur qu’elle pouvait entendre derrière les planches. Pour la millième fois, elle se surprit à souhaiter que les briques qui les séparaient se brisent, se délient et laissent leur douleur voir le jour – et cette fois-ci, elle n’avait pas envie d’écouter la colère, la rancœur ou la solitude qui bourdonnaient contre ses tempes. Elle avait simplement envie de serrer son oncle dans ses bras et ne jamais le laisser partir.

Mais Dolores n’était pas fière ou vaillante ou courageuse. Dolores était juste Dolores, la sapa Madrigal, celle qui connaissait les secrets de tout le monde sans chercher à les connaître, celle qui allait regarder sa cousine se marier à l’homme dont elle était amoureuse et sourire tout au long de la cérémonie. Celle qui resterait dans l’ombre, quoi qu’il arrive.

(Peut-être n’était-elle pas si différente de lui, finalement.)

— Tu es un lâche, Tío Bruno, murmura-t-elle avec tristesse dans la torpeur du soir avant de tourner les talons et de quitter la salle à manger.

Et moi aussi.



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