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Prompt : Fête des pères pour
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La fête des pères, c’était vraiment la période la plus craignos de toute l’année.
Déjà, il y avait l’école. Toute tentative d’aborder le sujet du père de Percy, que ce soit par un camarade curieux, une brute qui avait juste envie de lui chercher des poux ou – le pire – un professeur à moitié compatissant lui valait presque à chaque fois d’écoper d’une punition. Ce n’était pas la faute de Percy s’il finissait toujours par se passer des catastrophes dès qu’on mentionnait son mystérieux géniteur – ou du moins, son absence. Cela terminait généralement avec le nez cassé d’un camarade, des bleus un peu partout, des meubles endommagés ainsi que l’interdiction formelle de revenir dans la même école l’année prochaine. Cette année n’avait pas vraiment fait exception à la règle et Percy redoutait déjà de devoir affronter les yeux fatigués et tristes de sa mère lorsqu’ils se poseraient sur le sang séché qui avait taché sa veste.
Ce n’était pas qu’il avait particulièrement envie de se battre ou de s’attirer des ennuis mais c’était plus fort que lui – il fallait qu’il ouvrît sa stupide bouche et qu’il défendît l’honneur de son paternel perdu en mer, non pas que ce dernier lui ait jamais rendu la pareille. Cela ne manquait pas de partir inévitablement en injures et coups de poing à la fin, pour son plus grand soulagement ; il préférait mille fois pleurer pour avoir été poussé et frappé contre son casier que de pleurer parce que son père avait préféré mourir en mer que de le rencontrer.
— Bâtard, crachaient les autres gosses sur son passage, leurs visages dévorés par des petits sourires torves et auto-satisfaits. Comme s’ils attendaient que Percy ne dise rien, comme s’il allait se contenter d’être immobile et de laisser les crachats lui couler sur la nuque.
Ouais, bah non. Qu’ils aillent tous se faire foutre. Quitte à être un moins que rien, Percy préférait être un délinquant qu’une victime. Au moins, ses camarades s’attendaient à ce qu’il rende les coups.
Gabe, lui, ne lui laissait même pas cette chance.
En soi, son beau-père n’en avait rien à faire de la stupide fête. Percy ne se serait jamais rabaissé à lui montrer la moindre once d’affection ou de respect – courtoisie que Gabe lui rendait volontiers avec des insultes, des gifles et des bouteilles de bières lancées à travers la pièce. Une fois, il lui avait même tordu le poignet assez fort pour que Percy se morde les joues jusqu’au sang. Un acte de rébellion inutile puisque le billet qu’il avait planqué dans sa poche intérieure avait fini dans la main grasse et moite de Gabe mais jouissif sur le coup.
Dire « non » à Gabe avait toujours des conséquences mais bon sang, Percy ne regrettait jamais de le faire.
Tous les prétextes étaient bons pour que Gabe cherchât à lui extorquer le moindre centime. Sa mère lui laissait un peu d’argent toutes les semaines, de quoi s’acheter un paquet de chewing-gums à la myrtille ou un soda bleu s’il lui prenait l’envie, mais Percy avait vite compris que garder cet argent de côté ne lui servirait à rien. Gabe trouvait toujours une excuse pour souffler contre sa nuque dès qu’il faisait mine de rentrer un peu trop tôt de l’école et Percy avait vite compris qu’il n’y avait que deux moyens d’apaiser la colère de son ivrogne de beau-père : soit en lui donnant de l’argent, soit en encaissant les coups de pieds. Il avait souvent choisi la deuxième solution, plus par fierté que facilité.
Et puis le regard de sa mère s’était rempli de soupçons et Percy avait dû ravaler sa rage.
Contrairement à ce qu’on disait de lui, il n’était ni ingrat ni complètement stupide. Sally Jackson méritait d’avoir une vie dix fois plus douce que celle qu’elle menait aujourd’hui pour offrir une vie décente à son bâtard de fils. Elle aurait dû finir ses études, écrire ses premiers romans à succès, trouver un chic type qui l’aurait traitée comme une reine et l’aurait épousée avant de lui donner plein d’enfants complètement sains et normaux – pas du genre qui provoquaient des bagarres au bout de trois semaines et ramenaient des notes minables malgré leurs meilleurs efforts. Elle méritait un meilleur fils que Percy Jackson et les dizaines de problèmes qu’il traînait derrière lui avant même d’atteindre l’adolescence : sa dyslexie, la colère qui ne quittait jamais son ventre, son père mort, son trouble de l’attention et son beau-père qui cognait plus fort qu’il ne criait. Elle méritait le ciel, la mer et plus encore ; tout ce que son fils pouvait lui offrir, c’était de ne pas l’inquiéter en donnant l’excuse à Gabe de le cogner dès qu’il rentrait de l’école.
Depuis, Percy serrait les dents, tendait les quelques billets qu’il lui restait et imaginait très fort son beau-père se noyer dans le fond de sa bière.
Il avait peut-être rêvé, étant gosse, que son père reviendrait un jour du voyage en mer que sa mère évoquait. Ils n’avaient aucune photo de lui à la maison et Percy n’avait aucun souvenir de lui (une vague impression de sel et de chaleur, un halo bienveillant qui lui avait caressé le visage une fois enfant) mais il se plaisait à penser qu’il ne pouvait pas être pire que Gabe Ugliano. C’était sans doute un connard dans le fond – il fallait l’être pour laisser quelqu’un d’aussi merveilleux que Sally Jackson derrière soi sans même prendre le temps de lui dire au revoir – mais plutôt du genre qui oubliait l’anniversaire de son fils ou la fête des pères, qui était trop occupé par son travail pour assister à son match de foot pas qui lui extorquait de l’argent ou le frappait dès que l’humeur lui prenait.
Percy n’était pas sûr de préférer l’absence de son géniteur aux insultes de Gabe, les murs silencieux à l’impact des coups. Devait-il forcément choisir l’un ou l’autre ? C’était la peste ou le choléra, the devil and the deep blue sea comme chantait George Harrison, et quitte à choisir, Percy avait toujours préféré tracer sa propre voie.
Pour sa dixième fête des pères, il acheta un muffin au glaçage bleu pour sa mère qu’il glissa avec sa lettre de renvoi. Sally secoua la tête en lisant les mots fermes mais polis de la directrice, exaspérée et émue tout à la fois ; si elle versa quelques larmes dans ses cheveux, ils firent tout deux semblant de ne pas les voir.
— Bonne fête, maman, marmonna-t-il dans son giron, les paupières lourdes et brûlantes à son tour.
Si le grondement d’une tempête se fit entendre depuis l’autre bout de l’île de Manhattan, Percy n’en sut rien. Il était déjà occupé à dormir.