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Prompt : Ce que mes parents veulent que je sois pour
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Il a suffi à Luke d’un seul coup d’œil au nouvel arrivant pour savoir qu’il finirait un jour par le tuer.
Si le fils d’Hermès avait eu deux ans de moins, il aurait pleuré de rage à l’idée d’enterrer de nouveaux campeurs. Il aurait peut-être même été tenté de plaider la cause du gamin auprès de son maître, d’insister que sa mort n’était pas un mal nécessaire et qu’ils pouvaient s’accommoder de laisser le gosse en vie, peut-être même de le recruter. Cronos aurait sans doute ri au nez devant son sentimentalisme déplacé mais au moins, Luke aurait essayé et ç’aurait été suffisant pour soulager le peu de scrupules qu’il lui reste.
Mais Luke a dix-huit ans, une cicatrice sur la tempe et le souvenir des cris d’agonie de Thalia marqués au fer rouge dans sa chair.
Sa haine des Olympiens est trop profonde pour qu’il s’embarrasse de nouveaux regrets.
Percy Jackson est, du reste, excessivement facile à approcher, guère plus qu’un enfant confus jeté au milieu des loups et forcé de montrer ses crocs pour survivre. Ses maladroites tentatives d’intégration à la Colonie des Sangs-Mêlés tandis qu’il cherche à s’accrocher au peu de normalité qu’il lui reste sont aussi distrayantes que pathétiques. Il n’a même pas encore la voix qui craque ou de traces d’acné sur la peau ; si Luke plisse les yeux et penche la tête, il jurerait qu’il lui reste du gras de bébé sur les pommettes. C’est aussi facile de sympathiser avec lui aussi : le gosse vient de voir sa mère mourir sous ses yeux dans d’atroces circonstances, halète dans son oreiller lorsque les cauchemars le réveillent au milieu de la nuit – en tant que chef du Bungalow 11, Luke est passé maître dans l’art de ne dormir que d’un seul œil – et fait des offrandes tous les soirs à un père qui ne lui répondra jamais. Luke ne cherche même pas à l’en dissuader : à quoi bon, puisque le gamin va mourir avant le solstice d’été ?
Il est évident que Percy est l’enfant dont Cronos lui murmure le nom en rêve – le dernier fils des dieux aînés, celui dont la Prophétie a annoncé la venue. Même lâché seul au milieu des autres demi-dieux, le gamin irradie d’un pouvoir auquel Luke sait qu’il ne pourra jamais prétendre. Ses yeux luisent devant le feu des offrandes (le feu d’Hestia, lui a vicieusement rappelé le Seigneur des Titans) comme s’ils cherchaient à s’en repaître et le sang qui court sous sa peau vibre sous les coups d’estoc que le fils d’Hermès lui assène, contenu par un corps bien trop étroit pour lui.
(Quel corps mortel pourrait prétendre contenir l’océan ? Poséidon incarne la fureur, l’inconstance et la passion de l’eau qui recouvre leur monde, les tempêtes et les tremblements de terre – tous les enfants qu’il a un jour engendré sont des monstres, sans exception. Percy Jackson est juste le plus humain de tous.)
(Et si ce n’est pas le cas alors il est meilleur comédien que Luke.)
Il est piètre combattant, évidemment, mais le feu dans son regard et l’eau qui coule dans ses veines compensent ses maigres aptitudes, devancent parfois le fils d’Hermès au moment où il s’y attend le moins (changeant, impossible à prédire, aussi caractériel que l’océan et la houle des vagues). Si Cronos n’en avait pas décidé autrement dès sa naissance, Percy Jackson aurait peut-être grandi pour devenir une véritable terreur au combat, un épéiste hors-pair – un homme que Luke aurait été peut-être honoré d’affronter ou de seconder, si leur camaraderie avait été sincère.
Mais Luke est le digne fils de son père, lui aussi ; il a appris à mentir sans sourciller sur les genoux de sa mère, en regardant ses yeux hantés par le spectre du futur. Il n’y a rien de sincère dans les doigts qu’il passe dans les cheveux de son protégé ou dans les encouragements qu’il lui chuchote après chaque entraînement. Il n’y a rien de sincère dans les objets qu’il vole pour Percy ou dans les histoires qu’il lui raconte au milieu des chants du Bungalow d’Apollon. Lorsqu’il lui donnera les chaussures enchantées qui le précipiteront la tête la première dans le Tartare, il n’y aura ni regret ni joie dans son geste – juste une transaction comme les autres, un paiement qu’il verse à Cronos pour garder sa famille en vie. Un sacrifice que Luke est déterminé à offrir au seigneur des Titans, si cela lui permet de venger sa famille.
Si cela lui permet de se venger d’Hermès.
Dans les cauchemars que Cronos lui envoie tous les soirs, il se souvient de chapelets de paroles enfiévrées que May Castellan débitait en l’embrassant chaque soir. Il se souvient du destin que son père a dit entrevoir pour lui, le sang abreuvant le marbre blanc de l’Olympe et les larmes dansant dans les yeux gris d’Annabeth. Il se souvient du regard doux et triste du Dieu des Messagers posé sur lui, de son désir à peine avoué de le voir devenir un héros un jour malgré les avertissements des Parques et les lignes de prophéties à moitié cohérentes qui se sont glissées dans la bouche de sa mère. Dans ses moments les plus noirs, Luke se demande parfois si Poséidon a déjà visité son fils en secret lui aussi, s’il l’a un jour regardé avec le même chagrin qui a déformé les traits d’Hermès ce jour-là et l’idée même lui donne envie de briser chaque bungalow du clan brique par brique et de les faire brûler dans le feu qu’Hestia tient tant à garder.
Ils ne sont que des outils, tous autant qu’ils sont. Percy et les autres demi-dieux qui mourront dans la guerre qui se profile : autant de pions délaissés sur l’échiquier géant de leurs parents indignes, trop engoncés dans leurs petits jeux cruels pour prêter attention aux cris de souffrance de leurs enfants abandonnés.
Morituri te salutant, auraient dit les latins en versant leur sang – et ils seront nombreux à mourir pour que vienne demain.
Dans les rares moments où il s’autorise à être honnête, il y a une minuscule part de lui-même qui se révolte à l’idée de tuer Percy – le Percy qui n’est qu’un gosse traumatisé et qui hoquette le nom de sa mère entre deux cauchemars, le gamin à peine adolescent dont les mains moites arrivent à peine à tenir une épée correctement, l’enfant qui murmure des prières à un père éternellement ensemble – tandis que le reste lui hurle qu’il est trop dangereux (volatile comme son père, loyal et passionné, l’enfant de la Prophétie, tue-le, tue-le) pour être laissé en vie. Un nouvel âge d’or, lui a promis Cronos, mais un dans lequel Percy Jackson n’aura jamais de place.
Il est trop tard pour pleurer sur les injustices qui jonchent leurs vies, cependant. Il est trop tard pour sa mère, pour Thalia et Percy, pour tous les enfants qui ne pourront jamais comprendre et que Luke a l’intention de venger malgré eux. Ils ne sont des pions sur l’échiquier géant de leurs parents et il a déjà perdu une fois – le goût de la défaite est trop amer pour qu’il y goûte à nouveau.
Alors lorsque le trident de Poséidon se met à briller au-dessus de la tête de Percy, Luke s’autorise pendant une brève seconde à être désolé pour lui.
Il ne connait que trop bien le fardeau qui vient avec les attentes d’un père.