kandai_suika: (relaxing)
Kandai ([personal profile] kandai_suika) wrote2022-10-29 12:49 pm

[ficlet] Encanto: avènement

Titre : avènement
Auteur : [personal profile] kandai_suika
Fandom : Encanto
Personnages/Couple : Félix Madrigal/Pepa Madrigal, Antonio Madrigal.
Genre : Angst, Famille.
Rating : PG
Disclaimer : Disney, Jared Bush, Byron Howard.
 
Résumé : Naissance et baptême d'Antonio Madrigal. Ou encore : comment la Familia Madrigal continue de vivre, malgré tout.
 
Note : Publiée en octobre 2022.
Continuité : Dix ans de solitude verse. Se situe cinq ans avant le film.
Taille : ~2,700
 

La rumeur qui courait sur toutes les lèvres de l’Encanto en cet été de l’an de grâce 1945 faisait, pour une fois, l’unanimité dans les chaumières : Antonio était, sans conteste aucune, le plus adorable poupon que la Familia Madrigal eût jamais accueilli sous son toit.

Qui aurait pu prétendre le contraire sans rougir ou être traité de menteur ? Le poupon ressemblait trait pour trait aux effigies du divin enfant que l’on plaçait dans les crèches de Noël, entouré de figurines d’animaux à l’air béat et de Madones sereines. Un visage rond et angélique, de grands yeux curieux et émerveillés par le monde coloré qui l’entourait, une bouche de laquelle s’échappait les rires les plus cristallins et quelques rares pleurs – tout le monde était tombé fou amoureux du bambin âgé de quelques mois à peine alors que le prêtre qui lui versait l’eau du baptême sur la tête s’émerveillait de son caractère foncièrement tranquille.

Peut-être son tempérament doux était-il une manière inconsciente de se faire pardonner le chaos des derniers mois qui avaient précédé sa naissance – bercés, comme il fallait s’y attendre, par les turbulences d’une météo sans queue ni tête. Aucune des grossesses de Pepa Madrigal n’avait été sans heurts et l’Encanto entier en avait pâti à chaque saison, bon gré mal gré : hormones, inquiétudes et pouvoirs magiques capables de contrôler les humeurs du temps ne faisaient décidemment pas bon ménage et pour ne rien arranger, l’âge avancé de la cadette des triplées avait suscité plus d’inquiétudes que de raison auprès des matrones du village.

— Elle n’est plus toute jeune, comprenez, et son contrôle sur ces maudits nuages a toujours été… capricieux, avait grimacé l’une d’elles en commentant à voix suffisamment haute le tour de taille croissant de Pepa pendant l’évangile. Sans parler de son caractère si… mercurial… Vraiment, on se demande quelle idée saugrenue lui est encore passée par la tête !

— Vous pensez que c’est à cause de la dernière cérémonie ? s’était empressée de chuchoter Señora Ozma sans discrétion aucune, toujours prête à commérer dès qu’elle pressentait un ragot bien juteux à se mettre sous la dent. A cause de la petite Mirabel ? Est-ce que vous pensez que Doña Alma…

— Shh, pas si fort ! avait rabroué sa compagne – trop tard, cependant, pour que Félix Madrigal ne les remarque pas.

Fort heureusement pour le reste de l’Encanto ce jour-là, ni Julieta ni Pepa n’avaient entendu les murmures dégoulinants de préjudices qui avaient coulé sur le dos de la Familia Madrigal pendant la consécration de l’hostie. Mais ni le regard furibond de la jeune Dolores, ni les joues rougies par la honte de la petite Mirabel ne trompèrent les yeux avisés de Félix : les langues de vipères n’étaient pas complètement passées inaperçues.

Si Félix avait été d’une autre sorte qu’un parfait gentleman, il se serait peut-être levé devant Dieu et sa belle-mère et aurait clamé haut et fort sa façon de penser aux deux mégères qui se permettaient de juger leur prochain dans la maison du Seigneur de manière si dédaigneuse. A la place, il s’était mordu les lèvres et avait laissé sa voix porter plus fort qu’à l’accoutumée lors de l’Alléluia : faire un esclandre en pleine eucharistie ne leur aurait décidemment apporté que des ennuis et malgré son désir féroce de défendre sa femme, il savait que cet élan d’amour lui vaudrait des reproches de la part de sa belle-mère. La grossesse de Pepa mettait les nerfs de celle-ci à l’épreuve et il n’était pas homme à se laisser distraire par les paroles acerbes de quelques langues de vipère – surtout pas lorsque la plus belle femme du monde réclamait sa présence à ses côtés.

Fort heureusement pour tous, les rumeurs se tarirent rapidement après la naissance du benjamin de la famille. Loin d’être l’avènement d’un nouvel ouragan qui aurait menacé la paix fragile qui baignait l’Encanto, la venue au monde d’Antonio Madrigal avait apporté un voile de douceur et de soleil sur les toits et les âmes de chacun en ce début d’été. Tous s’étaient pressés pour s’émerveiller devant la frimousse angélique et les boucles noires du bambin, apportant moult présents et accolades à la famille la plus importante de l’Encanto pendant des jours.

Félix, pour sa part, n’avait que faire de ce que les gens du village pensaient de sa femme ou de son plus jeune fils. Il avait béni la venue au monde de chacun de ses enfants et les avait bercés avec le même amour fièrement paternel qu’il réservait pour ses trois petits miracles. Il se souvenait encore de ses premiers pas en tant que parent, de l’émoi et de la détresse qui avaient saisi son cœur à chaque pleur, chaque caprice, à chaque colère… Petite, Dolores avait souffert de coliques à n’en plus finir, rendant les nuits interminables et allongeant les insomnies de sa pauvre tante qui peinait déjà avec le caractère indépendant d’une Isabela à peine plus âgée et qui refusait catégoriquement de dormir plus de quelques heures d’affilée. Quant à Camilo, Félix se souvenait de lui comme d’un nourrisson extrêmement angoissé lors de ses premiers mois, se transformant en une furie inconsolable dès que l’on faisait mine de l’éloigner de sa mère. Encore aujourd’hui, Dolores se plaisait à le taquiner en l’appelant « fils à maman », ce à quoi son frère répondait inévitablement « fille à papa » en lui tirant la langue – pour le plus grand amusement de leurs parents.

Amusement qui n’avait rien de fondé, évidemment : ni Pepa ni Félix n’avaient de préférence pour l’un ou l’autre. Le musicien aimait sa fille et ses deux fils avec une férocité qui égalait celle de sa femme et il ne doutait pas du dévouement maternel de sa chère et tendre Pepa. Il aurait volontiers traversé l’espace entre la terre et la lune à la nage pour décrocher un sourire à ses enfants, tous autant qu’ils étaient.

Même s’il n’y avait aucun de mal à reconnaître qu’on s’accommodait facilement du caractère arrangeant d’Antonio.

— Aye, mi vida, on dirait un ange que le ciel a jeté dans nos bras ! avait-il complimenté sa femme lorsqu’ils avaient eu le loisir de passer quelques minutes en tête à tête après l’accouchement, loin des jeux de coude endiablés des cousines curieuses et des glapissements surexcités de son frère et de sa sœur. Pepa, épuisée mais radieuse, s’était simplement contenté de lui sourire, un arc-en-ciel illuminant ses yeux trempés par la joie.

Et par le chagrin.

L’humeur guillerette de Félix se rembrunit tout d’un coup, tandis que ses mains tripotaient impatiemment la théière en céramique. Pepa était restée à la maison avec leur poupon aujourd’hui, désireuse de prendre un peu de repos après l’agitation provoquée par le baptême, et Agustín avait spontanément choisi d’accompagner le reste de la Familia Madrigal en ville pour le reste de la journée, offrant ainsi à son beau-frère l’occasion de choyer sa femme et son nouvel enfant loin de la joyeuse cacophonie familiale. Félix avait été touché par l’attention : il adorait sa famille, évidemment, et il n’y avait pas un jour que Dieu fisse sans qu'il ne se surprisse à bénir le Ciel d'avoir été choisi pour être l'époux de Pepa Madrigal mais parfois, il ne pouvait nier que sa chère et tendre avait besoin de calme. Un calme que leur délicieuse (mais bruyante) ribambelle ne parvenait pas toujours à offrir, malgré leur meilleure volonté.

Félix n'en voulait pas à leurs plus jeunes membres, bien évidemment. Ils étaient petits et pétris du désir de bien faire : les cadeaux et les attentions envers Pepa et leur nouveau venu ne manquaient pas. Camilo avait toujours un sourire rassurant ou une tasse de thé réconfortante pour sa maman et Mirabel s'était entichée de son nouveau cousin à une vitesse fulgurante, passant la plupart de son temps libre à lui découper des formes dans du papier coloré - pour le plus grand plaisir de celui-ci. Les gestes d'Isabela, Luisa et Dolores étaient tout aussi sincères et aimants mais Félix pouvait y lire une retenue qu'il ne décelait pas chez son fils et sa plus petite nièce, une pudeur lourde de sens qui n'avait jamais existé auparavant.

Le père n'avait pas cherché à en connaître la cause. Il savait pertinemment ce que Dolores avait dû entendre crier le soir de la naissance d'Antonio.

Au milieu des contractions, à moitié abrutie par les sanglots et la douleur, Pepa s’était soudainement mise à pleurer après son frère, réclamant sa présence tandis que des vents violents faisaient trembler les fondations de Casita. Julieta, blême et affolée, s’était précipitée hors de la chambre en panique, dévalant les escaliers à la recherche de sa dernière marmite de bouillon. Agustín lui avait confié bien plus tard, au cours d'une de leurs fameuses soirées "entre hommes" généralement arrosées de chants et d'alcool maison distillé derrière la ferme Fernandez, que Julieta avait veillé en tremblant toute la nuit qui avait suivi la naissance d'Antonio, ses yeux cherchant dès qu'ils le pouvaient la lumière familière de la porte de Pepa.

— Il y a des choses qu'elle ne me dit pas, hermano, avait sombrement conclu son beau-frère en vidant d'un trait son verre d'aguardiente. Au sujet de... Bruno.

Le nom dans la bouche d'Agustín avait surpris Félix davantage qu'il ne l'aurait cru. Il n'était pas de ceux qui respectaient scrupuleusement l'opprobre silencieusement jetée par Alma sur son fils mais il avait appris à danser autour de l'absence du plus jeune des triplés sans pour autant évoquer son prénom. Son dernier désir était de causer du chagrin à sa dulcinée, ce qui ne ratait pas à chaque fois que quelqu'un cherchait à mentionner son beau-frère disparu ; il avait donc pris le pli, à l'image d'Agustín, de se taire plus souvent qu'il ne l'aurait souhaité.

Et pourtant, il en aurait des choses à dire à Bruno.

Félix exhala, essayant d'étouffer son trouble dans les vapeurs du thé. Il devait avouer que la vision de sa Pepa, son soleil, la lumière de ses jours et la lune de ses nuits, se tordant de douleur sur leurs draps trempés et appelant son frère avec tout le désespoir du monde l'avait sacrément secoué. Il connaissait trop bien sa femme pour savoir que derrière ses nuages d'orage et ses regards furieux se cachait une blessure profonde que la vulnérabilité de l'accouchement avait ravivé. Bruno avait été présent pour la naissance de chacun de ses neveux et nièces, relégué comme le reste des hommes sur le palier de la porte tandis que les femmes s'affairaient autour de la future mère ; il avait ri, pleuré, partagé l'alcool et les embrassades avec la famille au complet, embrassé le front des nouveau-nés avec une formalité toute particulière. Il avait même accepté d'être le parrain d'Isabela et Dolores, pour la plus grande joie de ses sœurs. Célébrer l'avènement d'Antonio sans lui donnait à chacun l'impression d'un puzzle incomplet, d'une maison branlante qui s'était soudainement retrouvée sans fondations.

Mais Félix n'était pas homme à se lamenter sur le passé. Ce qui était fait était fait ; ni les cris de douleur de Pepa, ni les pleurs étouffés de Julieta, ni les prières d'Alma prononcées au chevet de sa chandelle magique ne leur avait ramené leur prophète. Il pouvait souhaiter aussi fort qu'il le souhaitait, noyer ses regrets dans l'alcool qu'Agustín ne sortait que durant leurs têtes-à-têtes, rien de tout ce qu'il souhaitait ne changerait rien à la disparition de Bruno ou à son retour.

La Familia Madrigal était forte et pas uniquement grâce à leur magie. Elle survivrait.

Il trempa son auriculaire dans le thé et sourit, enfin satisfait de le voir refroidi à une température idéale. Quelques minutes plus tard - et avec l'aide précieuse de Casita - il entrait dans la chambre qu'il partageait avec sa chère et tendre, la théière trônant au milieu d'un plateau couvert de douceurs et de fleurs aux couleurs vives.

— Pour toi, mi vida, annonça-t-il à voix basse, au cas où leur Antonio serait endormi.

Depuis leur lit, Pepa le gratifia d'un sourire radieux tandis qu'elle remettait en place d'une main l'échancré de son corsage. La pièce baignait dans la lueur orangée d'un soleil paisible mais voilé, un parfait petit écrin de calme au milieu d'une semaine chahutée. Le jeune père aurait pu contempler ce tableau paisible pendant des heures et ne jamais s'en lasser.

— Merci beaucoup, mi amor, lui répondit son épouse, les yeux étrangement brillants. Est-ce que... est-ce que tu peux emmener Toñito dehors deux minutes ? Il faut que je... je ne veux pas qu'il soit mouillé...

Félix jeta un coup d'œil à la grisaille qui empiétait lentement mais sûrement sur les rayons chauds du soleil et ouvrit les bras sans un mot, accueillant dans son giron le corps de leur fils à moitié endormi. Il aimait sa femme sans tabou ni retenue, avait hurlé ses vœux de mariage par-dessus le grondement d'un ouragan en furie et jamais il n'avait regretté la moindre minute de leur mariage ; un jour, il espérait qu'elle le laisserait l'étreindre sous la pluie.

Mais son argument était censé. Antonio, tout angélique soit-il, n'aimait pas être arraché sans raison à ses langes propres et secs et aucun des deux parents n'avait envie d'essuyer un chagrin facilement évité. Sans protester, Félix se fendit d'un baiser sur le front de sa dulcinée et prit la direction du couloir, laissant sa femme donner libre cours à sa mélancolie dans la sécurité de leur chambre.

Un fin crachin ne tarda pas à se faire entendre de l'autre côté du battant de bois. Comme pour y répondre, Antonio se mit à gazouiller lorsqu'il vit la figure souriante de sa mère briller sur sa porte, arrachant un sourire à son père. De toutes les portes magiques qui bordaient l'étage de Casita, celle de Pepa était probablement sa préférée – ne serait-ce que parce qu'il y voyait toujours son beau sourire, malgré les gouttes de pluie ou les orages qui pouvaient tomber derrière.

— Ay, tu as raison, Toñito, chuchota-t-il à son poupon, tout en le berçant contre lui. Ta maman a la plus belle de toutes les portes, c'est sûr.

Ses pas entamèrent une ronde familière tandis que les pleurs de sa chère femme se calmaient peu à peu. Il passa devant la porte d'Abuela, celle de Julieta, marcha jusqu'au bout de l'escalier et fit demi-tour, un refrain doux sur le bord de ses lèvres. Dans ses bras, précieusement lové contre son cœur, Antonio lui répondait avec des éclats de rires et des « Aaaaah » enchanteurs.

— Un futur musicien comme son papa, ? se gaussa Félix, charmé par les mimiques de son fils. Un doigt tendu et un « Eh » curieux au détour des escaliers retinrent son attention et lorsqu'il releva la tête, Félix fut surpris de voir qu'Antonio pointait le visage éteint qui était gravé sur la porte de Bruno.

Il y avait rarement prêté attention mais la porte de son beau-frère ne lui rendait pas vraiment justice. Cet air sévère et ces sourcils froncés ressemblaient davantage à la figure d'oiseau de malheur que le village lui attribuait sans mal ; Félix se souvenait du frère de sa femme comme un petit homme à la voix douce et aux mains peu assurées, toujours prêt à prendre son neveu ou ses nièces sur ses genoux et à leur raconter des histoires.

Des histoires qu'Antonio n'entendrait jamais.

Félix soupira, soudain touché par la même mélancolie qui étreignait sa femme. Il frotta le bout du nez de son fils avec affection, ramenant l'attention de ce dernier sur lui, tandis qu'il reprenait le chemin vers la chambre qu’il partageait Pepa.

— Ay, c'est la porte de ton tío Bruno, Toñito. Il serait vraiment très fier de toi, tu sais ?

Peut-être le savait-il déjà, où qu'il soit, perdu dans le vaste monde. Peut-être avait-il su avant même de partir, grâce à son terrible pouvoir, qu'un jour, un enfant nommé Antonio Bruno Madrigal viendrait au monde et ferait la fierté et la joie de leur Familia. Félix ne savait pas ce qu'il préférait penser : il aurait cru, peut-être à tort, que de connaître l'existence de Toñito aurait donné à son beau-frère l'envie de revenir à la maison.

Mais qui savait, après tout...

— Qui sait, Toñito, marmonna Félix en frappant doucement à côté du visage figé dans le bois de sa Pepa, dans cinq ans, ce sera peut-être à ton tour d'avoir une porte.

Et peut-être que dans cinq ans, Bruno serait enfin revenu à la maison.