[fic] X-Men: Avalon (#01)
Aug. 7th, 2014 07:21 pm![[personal profile]](https://www.dreamwidth.org/img/silk/identity/user.png)
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(à un niveau plus personnel, le Pape est aussi un professeur et un mentor)
Le temps est à l’orage, aujourd’hui.
Plutôt approprié, songe le Professeur en contemplant d’un œil morne les nuages noirâtres qui se massent au-dessus d’eux. Il ne saurait dire s’ils sont le résultat de la présence de Storm qui bouillonne d’électricité à peine contenue malgré sa fatigue, de la couche de pollution presque perpétuelle qui recouvre la moitié de la planète ou d’un simple caprice météorologique – il s’en moque un peu, à vrai dire, mais il a déjà épuisé tous les sujets de conversation sans intérêt avec Bobby ; Storm cache admirablement bien le fait qu’elle va tout simplement hurler s’il lui pose ne serait-ce qu’une autre question mentale à propos de la pluie et du beau temps (jeu de mots volontaire, évidemment).
Ce sont ces moments passés dans l’inaction, à tenter de trouver vainement le repos ou de distraire un esprit tourmenté en attendant une menace inévitable, que Charles abhorre par-dessus tout. Les luttes, lorsqu’elles éclatent, ont au moins la merci d’être aussi rapides que brutales, laissant derrière elles d’horribles trous béants là où s’étaient trouvés des esprits en proie à la panique et un horrible goût de cendres, de bile et de sang dans la bouche du télépathe. Il a appris à ravaler son impuissance face aux machines de Trask depuis longtemps mais cela ne veut pas dire qu’il se fera un jour à l’idée de fuir en permanence pendant que des enfants laissés en arrière se battent à la mort – Logan, au moins, a eu plus de cran que lui et c’est précisément pour cela que le Wolverine ne fait plus partie de leur équipe, ayant décidé de faire cavalier seul et de délivrer un de ces affreux camps de mutants à coups de griffes et de jurons bien sentis.
(Charles espère au moins que son vieil ami a survécu ; il est difficile à localiser télépathiquement en temps normal donc sa trace a été facile à perdre.)
Même aujourd’hui, le jour où ils ont décidé de placer leur ultime espoir dans un pari colossal, il est un poids mort. Singulière malédiction : il a le cerveau le plus puissant de la planète et personne n’en a besoin dans les moments qui comptent encore.
Pour la centième fois en une heure, il se demande s’il n’a pas eu tort d’envoyer Erik à sa place et inévitablement, ses pensées dérivent vers l’homme allongé sur l’autel au centre de la pièce poussiéreuse, apparemment endormi si ce n’est la lumière jaillissant des mains de la jeune fille assise derrière sa tête. La pauvre Kitty est toute courbaturée par sa position mais au moins, elle ne souffre pas inutilement : avec son consentement, Charles étouffe les sensations désagréables depuis une bonne heure – de simples messages nerveux transmis au cerveau, facile à divertir et à bloquer – sans pour autant couper ses perceptions sensorielles . Au moins, il se rend utile.
Le Professeur retient un soupir et laisse son regard se promener sur la silhouette endormie.
Erik a pris de l’âge avec une grâce que Charles jalouserait presque s’il n’en était pas complètement amoureux. Ses traits sont austères même dans son sommeil, empreints d’une dignité tranquille qui fait la qualité des êtes exceptionnels ; ses cheveux argentés, luisant faiblement dans la lumière descendante du jour, sont la seule couronne dont il a besoin. Il n’a rien de la Belle du conte, emprisonné contre son gré dans un sommeil éternel, mais plutôt d’un roi mourant qui se repose sur sa gloire passée, profitant de ses derniers jours pour contempler les tristes heures à venir.
Il a un royaume, ce souverain mis en terre, et celui-ci est prêt à le pleurer, l’a fait déjà dès que ses yeux se sont fermés. Charles s’essuie machinalement les joues, cherchant les sillons que ses larmes ont creusés quelques heures plus tôt et, la quête s’avérant vaine, s’applique à lisser des plis imaginaires.
Erik lui manque. C’est horrible à concevoir, vraiment : il n’est parti que depuis quelques heures mais c’est comme si on lui avait découpé l’âme avec un couteau de boucher, sans précision ni finesse. Les pensées de son amant sont toujours présentes mais elles sont brouillées, lointaines, inaccessibles – Erik est ailleurs, dans tous les sens du terme et Charles s’en veut d’avoir assumé qu’il pourrait vivre sans problèmes la séparation, le manque, le fait que son entière vie est réécrite quelque part sur un plan temporel dont il peut à peine concevoir l’existence et qu’il ne se souviendra probablement de rien de ce double passé, au contraire d’Erik et n’est-il pas le plus parfait des enfoirés, à condamner l’homme qu’il aime à ce genre de sort ?
La réponse est oui, évidemment. « Saint Xavier » n’existe que dans les fantasmes des persécutés et dans les délires idéalistes qui tendent à verser des couches de sucre supplémentaires sur les pages de l’histoire : pour tout ce que la génétique et l’espèce fonctionne, Charles reste un homme profondément imparfait et il n’est pas moins conscient de ses défauts qu’un autre le serait à sa place, conscient que l’altruisme est loin d’être son péché et qu’il n’y a rien dans son geste d’envoyer l’homme qu’il aime mener la croisade à ses anciens démons qui ne soit pas égoïste.
Oh, il peut maquiller cela sous l’amour profond qu’il ressent pour Erik et c’est vrai qu’une part de lui souhaite avec ferveur que son amant survive à leurs cadavres, survive à l’apocalypse et trouve quelque part dans son âme étincelante le cœur de reconstruire un meilleur monde sur leurs cendres mais il peut se vanter de le connaître et de l’aimer assez pour savoir que c’est la dernière chose que désire son amant. Même sous le casque de Magneto, même au moment où leurs chemins ont abandonné tout espoir de réconciliation, Erik lui a avoué ne jamais avoir voulu lui survivre, voir les rêves de Charles se réaliser en son absence et la Terre devenir un meilleur endroit alors qu’il n’y existait plus. Cela a eu le mérite de le faire rougir et ne manque pas de lui faire monter un sourire lorsque des pensées ignorantes viennent trouver son esprit alerte, pleines d’incrédulité lorsque confrontées au côté tendre d’Erik.
Son amour a toujours été un romantique grandiloquent et si Charles voulait vraiment céder à leurs caprices de tragédiens du dimanche, il leur aurait laissé la courtoisie de mourir l’un dans les bras de l’autre, emportant un dernier regard comme ultime souvenir.
Il aurait pu s’y autoriser, quelques décennies plus tôt, pendant ces années bénies où Erik était de retour dans ses bras et où le monde autour d’eux était un endroit moins sinistre, où il avait gagné et abusé du privilège de réapprendre l’homme qu’il aimait après une si longue séparation, où il s’était senti ridiculement plus fort de la présence d’Erik à ses côtés. Il y a eu quelque chose d’idéal dans le vœu de mourir ensemble au terme de leurs années les plus heureuses, alors que leurs rêves commençaient doucement à prendre forme et leurs espoirs se voyaient abandonnés dans les mains les plus capables.
Illusions, maintenant qu’il y repense, mais encore douces même tant de journées à errer dans le noir.
Il aime Erik Lehnsherr, il peut être au moins sûr de ce fait là, et Erik l’aime en retour, assez pour accepter ses suppliques, pour s’allonger sur un autel de pierre et réécrire l’histoire. Oh, son amant ne serait pas de retour en 1973 s’il n’était pas certain de son utilité sur ce champ de bataille particulier – pour quelqu’un qui a depuis si longtemps été privé de liberté, la coercition est la pire des prisons – mais Charles pense qu’Erik n’a pas eu tout à fait tort de contester sa décision.
Il a longtemps cherché une excuse à son retrait, une échappatoire de fumée contre ce qui a semblé sur le coup être une manifestation de sa propre lâcheté. Personne ne se risquerait à dire à voix haute que le Professeur manque de courage mais les joies d’êtres un télépathe sont de pouvoir entendre ce qui se pense à voix basse.
Il pourrait le dire et il l’a dit, d’ailleurs : il ne fait pas confiance à son double de 1973 pour rester stable après une telle invasion. Revenir supplanter sa jeune conscience dans ses heures les plus sinistres pour sauver la communauté mutante et faire revivre des espoirs quasiment enterrés à cette époque est un chemin qui mènera son alter ego à la guérison ou au suicide. Il fait encore moins confiance à l’homme qu’était Erik en 1973 : mû par une rage aveugle contre une humanité injuste, pétri d’idéaux tordus et de douleur distante, il lui suffira d’une pichenette pour qu’il se mette à faire quelque chose de stupide comme tous les tuer et partir en croisade contre le monde entier, ce qui n’est pas un destin plus enviable – ils ont tous vu d’une manière ou d’une autre où les délires de Magneto les auraient menés et personne n’y a jamais été préparé, Erik le premier.
Mais le manque de foi n’a plus été son point faible depuis de longues années. « Ce n’est pas parce que quelqu’un trébuche ou se perd qu’il est perdu pour toujours » est un credo qu’il s’est constitué au fil du temps et qu’il s’est toujours efforcé d’appliquer de manière égale à tous les individus, comme une déviance presque naturelle de son âme d’instructeur ; il existe des personnes auxquelles il ne peut l’appliquer ou s’est fatigué à l’essayer mais Charles n’a jamais prétendu à la perfection non plus.
Ce n’est pas la peur qui l’a retenu non plus, quoiqu’il fût fort suffisant de se convaincre qu’il n’est pas effrayé par les enjeux qui balancent leur ultime pari. Il est allé au devant de sa propre mort plusieurs fois, a vu brûler ses accomplissements et mourir de nombreuses personnes chères à son cœur dans d’atroces circonstances – la peur, puisqu’elle existe toujours, ne tient qu’une mince mais saine emprise sur son esprit laissé à l’inquiétude.
C’est peut-être un de ses vieux travers mais il se souvient de 1973 avec une précision accrue et s’il ne peut pas prétendre savoir tout ce qui s’est trafiqué pendant cette courte période de sa vie, il est au moins sûr d’une chose : Charles Xavier, à l’époque, n’a besoin que de deux choses et ce ne sont pas celles que le sérum d’Hank McCoy lui a rendues.
Il pourrait rendre Raven et Erik à son jeune lui-même, assommer leurs idéaux bancals, leur croisade à la limite du risible sous sa connaissance du futur et les amener à considérer d’autres voies, d’autres possibilités sans passer par la case génocide. Il se souvient de sa propre souffrance, de sa malléabilité, de ce qu’il était prêt à donner pour revoir Raven et Erik revenir vers lui ; il se connaît, il connaît l’homme qu’il était il y a cinquante ans et il est juste d’affirmer qu’une vie sépare les deux, une vie constellée de joies, de peines et de souffrances plus grandes qu’il ne l’a imaginé à l’époque.
Sauf que rêver du retour d’Erik et Raven comme il le faisait à l’époque, croire que leur rédemption est corrélée d’une manière ou d’une autre à sa prétendue salvation est illusoire.
C’est lui-même qui s’est sauvé, peu de temps après les Accords de Paris, l’entrée de Trask sur le devant d’une scène dans l’ombre de laquelle il est resté trop longtemps ; c’est lui qui s’est regardé un jour dans un miroir et s’est convaincu qu’il ne servait à rien de vivre dans un passé révolu à jamais (Raven étant devenue un assassin et Erik un terroriste mondialement reconnu, il n’avait pas vu d’issue possible pour ces deux là), c’est lui qui a jeté les seringues pleines de sérum, qui s’est remis dans son fauteuil roulant et derrière Cerebro afin de chercher de nouveaux élèves. 1973 et les années avant sont douloureuses mais il est injuste de mesurer sa vie par rapport à ces années-là, ces horribles temps où l’alcool était un médicament contre la douleur et le suicide une option, injuste de confronter sa dépression à ce qu’il a accompli durant les années qui ont suivi. Ni l’absence ni la présence d’Erik ou Raven aurait changé quoi que ce soit à ce qui aurait dû et a été fait.
Erik qui s’est sauvé tout seul. Erik qui a accepté ne rien savoir de l’amour avant qu’il ne soit trop tard et qui a eu la patience d’apprendre avec lui, de parcourir le chemin avec sa main dans la sienne ; Erik qui l’a embrassé une dernière fois avant de s’allonger entre les mains de Kitty Pryde, conscient qu’il s’agissait là de leur ultime adieu, sans promesse de retour – ou un retour vers un futur déformé, né des actions qui l’auront engendré.
Un meilleur futur, il espère. Un futur qu’il n’a aucune envie de voir.
C’est peut-être la lassitude qui l’a poussé à renoncer, plus qu’autre chose. Il a quatre-vingt sept ans mais son esprit en a touché tant d’autres, a vu tant de belles et atroces choses vivre dans le cœur des hommes qu’il n’a plus tant de force pour affronter une nouvelle réalité. S’il n’y avait eu que réécrire le passé, modifier le cours du temps sans craindre les conséquences, il l’aurait fait dix fois et aurait épargné cette douleur là à Erik mais c’est l’après qui le dépasse : il n’est pas de taille à affronter des esprits vierges de toutes les horreurs qu’il les a vu connaître, il n’est pas prêt à affronter la potentialité du bonheur après avoir ressenti avec tant de violence le désespoir.
Peut-être aurait-il pu considérer cela avant que Trask ne brûle son Institut, avant qu’ils ne soient forcés de fuir leurs maisons et avant que les hurlements silencieux de mutants en détresse ne deviennent une mélodie permanente dans sa tête mais quelque chose lui manque depuis sa mort et son retour, une flamme authentique qu’il n’est jamais parvenu à recouvrer complètement, un poids qui le traîne depuis quelques années et l’enchaîne à cette réalité plus solidement que la gravité.
Il lui paraît juste, s’il est le héraut de toutes les injustices de ce monde, de s’achever avec lui – de même qu’il paraît juste d’offrir à son amant une chance de changer ce même monde dont il a honni les imperfections avec tant de rage ; une justice qu’il dispense comme les dieux païens de jadis, persuadé d’avoir agi pour le bien d’un plus grand nombre – et ne ressemble-t-il pas à Magneto en pensant ainsi ? Il a si souvent pondéré sur la proximité de leurs idéologies qu’il ne pense même pas à se traiter d’hypocrite.
Mais Erik l’aime, malgré son égoïsme, malgré sa fatigue, malgré sa vieillesse, malgré ses incalculables erreurs qui l’ont laissé derrière. Erik l’aime et se bat pour leur offrir une seconde chance qu’il ne pense pas mériter à l’époque ; Erik se bat parce qu’il espère, au plus profond de son âme, que Charles sera le meilleur d’entre eux, pour tenir une promesse qu’il lui a faite une décennie auparavant.
« Je t’aime, Charles. Je ne te laisserais plus jamais en douter. »
— Shalom, mon amour, murmure-t-il en passant un doigt tendre sur l'étoile de David, bien à l'abri au creux de sa gorge. Nous serons braves.
Dans une vaine tentative pour ignorer les cris et les rugissements qui résonnent au dehors, le Professeur ferme les yeux et prie pour que cela suffise.