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[fic] La Maison des morts (acte ii, scène iv)

Titre : La Maison des morts
Auteur :
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Fandom : Sherlock '09
Personnages/Couple : Sherlock Holmes/John Watson, John Watson/Mary Morstan
Genre : angst, dark
Rating : PG-13
Disclaimer : Arthur Conan Doyle, Guy Ritchie
Warning : Mort de personnage canonique. Maladie terminale. Hallucinations. Tentative de suicide.
Note : Originellement posté en décembre 2012. Non relu.
Continuité : The Great Hiatus UA. Spoilers du deuxième film.
Taille : ~2,300
Deuxième Acte.
i n n o m m a b l e
Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans
J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps
Tu n’oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter
Sur toi sur celle que j’aime sur tout ce qui t’a épouvanté
Zone – Apollinaire, Alcools.
Les murs couleur pâleur luisent doucement sous les faibles impulsions de la lumière crue des ampoules. Ils agressent, ces froids rayons illusion de soleil, ils agressent en teintant la pièce calme d’un blanc étrange – mort blanche et silencieuse des hôpitaux, si loin des embruns noirs et assourdissants des cascades du Rhin, mais tout aussi redoutée et froide. La Faucheuse rôde dans les couloirs que des bruits de pas sourds égayent de temps à autre. Le matin pointe, au-delà des murs en gris et blanc, mais les rideaux baissés empêchent le soleil.
Le lit occupe presque tout l’espace disponible, projetant des ombres tremblantes sur les hautes lignes verticales et blafardes.
Un homme dedans et un à son chevet, grossière ébauche d’une veillée funèbre. Un homme ne bouge pas et l’autre hoquette, ses dents mordant les doigts crasseux auquel brille un éclat discret, ses orteils recroquevillés sur le sol sans ornement.
Pâle dans son lit d’hôpital, Watson dort et ses paupières papillonnent sous les veilleuses crues.
A ses côtés, le veilleur soupire dans le matin grelottant. C’est qu’il est épuisé. La nuit a été longue, minuit a sonné treize fois et pendant un instant, sa vie s’est résumée à ces traînées rougeâtres qui ornent comme des bracelets d’argent et de pierreries les avant-bras et les cuisses de l’homme endormi.
Il aimerait remplacer ces cicatrices qui agressent ces tissus blafards, embrasser dévotement les rainures rouges jusqu’à ce qu’elles finissent par marquer sa bouche avide, à l’image d’un croyant embrassant une relique sainte. Si lui-même doit être un saint – si on devait reprendre les mots exacts de son élégie – alors ce blessé qui paraît trop grand pour le lit dans lequel on l’a allongé, cet homme aux cernes pâles est son Christ, une idole décharnée à laquelle il n’aspire qu’à vouer un culte dément, à embrasser son front enfiévré et à effacer ces stigmates affreux qui font la douleur du monde entier. Sa main tremblante court sans pudeur sur les rides pâles qui se liguent sous les cheveux blonds ; ils sont plus ternes que dans son souvenir mais leur texture est restée intacte, à mi-chemin entre la soie et un épi rugueux de blé.
Il n’y a de sacrifices plus étranges que ceux qui n’ont pas besoin d’être demandés.
Et le souffle simple qui sort de ces lèvres à demi-fermées a des accents de louanges.
L’éveillé ferme les yeux, guidé qu’il est par le fol espoir d’atteindre ces contrées oniriques sur lesquelles son endormi aux paupières brisées s’est égaré. Le souvenir de l’eau glaciale l’étreint dès que les ténèbres voilent sa vision et c’est en haletant que ses yeux se révèlent à nouveau à la nuit aux faibles lumières, à la figure endormie qui a l’air si troublée, même loin de la cruelle vérité du monde.
— Oh, John, murmure l’homme qui devrait être mort et il y a cette rumeur qui vibre dans sa voix, une basse trembleur qu’il ne veut pas s’aventurer à expliquer parce que ça fait bien trop mal.
Son Christ revenu des Enfers reste sans parole mais les battements cadencés qu’il perçoit derrière la peau maigre sont autant de témoignages de vie que l’homme écartelé sous ses doigts fébriles lui offre sans conscience : Watson est vivant et il se sentirait au-delà de la honte d’en exiger davantage.
Étrangement, ces battements conjugués au souffle lent ressemblent presque à une mélodie sacrée, un hymne réservé aux divinités les plus glorieuses que l’Homme ait jamais eu l’occasion d’inventer. C’est un dieu qu’on a allongé sur ce matelas trop mince et cet homme à son côté qui l’écoute respirer se trouve être son démon le plus étouffant ainsi que son plus fervent apôtre, l’antidote et le remède quand ce dernier devient poison.
La dévotion qu’on lit dans ses yeux affamés est un poison vil qui crucifie sur des draps de toile les esprits les plus forts.
Son pouce se loge sous l’œil fermé, comme pour essuyer des eaux imaginaires, tandis que sa paume tente vainement d’épouser les contours creux de la joue pâle. La peau qu’il effleure à travers la gaze diffuse une tiédeur rassurante – il grelotte depuis la Suisse et cette chaleur nouvelle qui se répand dans ses doigts noueux est une bénédiction. Les cheveux clairs se reflètent dans l’anneau anneau qu’il arbore à la main droite, comme on exhiberait le butin d’une guerre longuement gagnée et un court instant, il se sent coupable.
Le goût acide de la bile dans sa bouche a des relents de défaite.
— Que cherchiez-vous donc à faire, John ?
Question bien vaine : l’interpellé ne répondra pas et il aura bien raison – le veilleur sait trop bien ce qu’il en est pour se contenter des mots.
Quant à lui-même, il a été lâche, détestablement humain et ce constat même le fait trembler.
Si la platitude morne des mois précédents l’ont fait hésiter à se replonger dans cette vie qu’il sait ne plus être la sienne, il ne peut que faire face silencieusement à la souffrance de ces paupières closes comme des rideaux mortuaires et du corps fondu dans les draps blanchâtres qui l’auréolent comme un suaire.
Tout dans l’attente immobile de cet homme lui crie à sa culpabilité, à une lâcheté passagère à laquelle il s’étonnera toujours d’avoir si facilement succombé – mais c’est Watson, pour l’amour d’une déité inexistante, c’est John Watson reposant à moitié mort dans ce lit dont les draps défraîchis le parent comme un linceul. Cela fait longtemps qu’il ne devrait plus s’étonner de tout ce que cet homme est capable de lui faire faire sans qu’il ait même besoin de le lui demander.
Il l’a bien conduit à l’autel pour le regarder embrasser une autre.
— C’est de ma faute. Je vous ai laissé une fois, et maintenant, je n’ai pas trouvé assez de courage pour m’éloigner de vous.
Perdre une nouvelle fois ces yeux vidés de tout sauf de chagrin a été bien au-dessus des toutes les capacités dont il a cru connaître les limites jusqu’à ce jour. Mais quand, du coin de la rue qu’il hante désormais comme un oiseau nocturne, il a vu la croix et les civières – son monde est tombé et s’est reconstruit dans un sens bizarrement penché. Depuis hier, il a cette perpétuelle impression que toutes les lignes droites sont obliques, que chacun de ses pas va le faire trébucher, qu’une main de fer s’est refermée sur son nombril et s’applique à le tirer vers le bas.
Je tombe, pense le veilleur aux yeux caves, un regret vicieux dévorant ses viscères.
Et ça fait invariablement mal.
La poitrine de l’endormi se soulève et s’abaisse encore ; ses yeux brûlent d’une eau bénite qui purge à grand peine tout le mal qui se contracte derrière sa pomme d’Adam. Pendant un instant que remplissent son souffle haché de sanglots sans larmes, il ne dit plus rien – et la main aux doigts nus et bien trop pâles qu’il a happée dans son carcan d’ongles rongés se fait bouée dans cette mer invisible.
Il s’agrippe à John comme le noyé qu’il a été même si le poids qui a fondu dans ses poumons n’a rien à voir avec l’eau glacée de Suisse ou le fardeau familier de la solitude. C’est la peur qui l’étouffe de ses mains de fer, une frayeur gelée qui se loge sur son diaphragme ankylosé.
Il ne sait plus respirer correctement – à quoi bon, quand il n’entend pas le souffle de l’autre lui répondre ?
— Je suis désolé, John. J’aurais dû vous laisser partir.
Watson ne dit rien mais il est probable que s’il avait été éveillé, il se serait contenté de sourire. Peut-être même aurait-il trouvé l’instant assez propice à la philosophie et aurait trouvé des mots de réconfort bien maladroits :
C’est là tout le tragique des échecs les moins remarquables, Holmes : il n’y a plus que vous-mêmes pour vous en blâmer.
Il en aurait ri avec amertume et tout serait rentré dans cet ordre brouillon qui a existé il y a bien longtemps. Mais John dort encore et ses paupières blanches ne font pas mine de s’ouvrir. Huit heures viennent de passer : l’hôpital est fait de bruits étouffés qui parviennent aux tympans comme à travers du coton. L’air immobile plane au-dessus de leurs têtes déchues de leurs couronnes, chargé de la pestilence de la maladie et de la pâleur du temps ; les minutes sont autant de leurs souffles mêlés qui s’allongent comme des ombres sur les murs cadavériques.
Le veilleur se penche encore ; ses propres lèvres se font fantômes de celles du malade, les surplombent sans jamais les toucher, pareille à une figure angélique qui veillerait sur l’homme endormi. La métaphore est trompeuse, cependant, et quiconque en mesure de reconnaître le visage blafard qui repose mollement sur ces coussins sera capable de dissocier l’ange et l’homme, celui qui a pleuré et celui qui l’a écouté sans broncher.
— John, murmure-t-il à nouveau d’une voix rauque – ce n’est plus tout à fait un nom chéri qui dépasse la barrière de ses dents jaunies, c’est une prière et à la fois, la promesse d’un avenir meilleur.
Parce que John est vivant sous ses doigts effrayés, parce que John respire sous sa bouche qui tremble et ce tableau grotesque qui se peint dans la pénombre frileuse du petit matin, cet homme à moitié cassé penché sur un autre homme assoupi dans un lit étranger, unis par l’air qui pulse entre eux comme un cœur atrophié, tout cela est tellement illogique que cela pourrait bien être l’œuvre de cette déité inexistante qu’il a invoquée quelques instants plus tôt.
Ces pensées lui arrachent un sourire défait et une perle salée vient mourir crucifiée sur cette ombre.
Cette réponse que John lui fait, cette mélodie faite d’expirations lentes et de cette légère odeur de salive séchée est autant une sacralisation qu’une sentence – il se sent nouveau-né baptisé par le souffle de ce géant écorché, il se sent martyr écartelé dans une arène de poussière blanche, il se sent homme ainsi surplombant le monde et il devient Messie à son tour, ressuscité d’entre les morts après avoir été bercé trois jours aux Enfers.
C’en serait presque révoltant, de penser pareilles sottises, s’il ne s’agissait pas de Watson.
— John, souffle-t-il à peine, ses paupières étroitement closes.
La vanité de ses suppliques à moitié prononcées ressemble à celle qui teinte les répliques éplorées des mauvais acteurs de théâtre – il est bon comédien, on le lui a toujours reproché, mais Watson a toujours eu ce don pour faire tomber ses masques si solidement incrustés dans sa peau, qui lui collent au visage et lui font dire les mensonges les plus aberrants de la terre entière.
Et pourtant, c’est son plus magnifique mensonge qui a amené le docteur dans ce lit aux draps rugueux et il se condamnerait lui-même si sa sentence n’était pas déjà aussi lourde, s’il n’était pas obligé de rester dans ces ombres inquiétantes, à être le témoin silencieux et muet d’une chute sans fin.
C’est sans doute là que réside la cruauté du drame, la violence de cette histoire qui se déroule devant ses yeux horrifiés : il est vivant mais spectateur, relégué dans les coulisses muettes et Watson – John – est allongé dans un lit d’hôpital qui lui crie que tout est de sa faute.
— Ma faute, John, vous n’étiez pas censé… il s’arrête abruptement, conscient que poursuivre la phrase serait insulté l’esprit blessé et non moins admirable qui repose presque tranquillement dans ce lit. Toute supposition qui aurait pu l’amener à une autre conclusion que celle à laquelle il est en train d’assister n’est qu’insulte ajoutée à la blessure déjà portée.
Mais John paraît si faible dans ce lit d’hôpital qu’il ne peut s’empêcher de chercher des excuses qu’il ne possède pas – tout s’est envolé par les carreaux brisés – de répéter dans une boucle infernales des vœux qui n’ont guère de sens maintenant que tout semble être fini.
Il n’était jamais dans mon intention de vous faire souffrir autant.
Mais que veulent dire les moyens devant ces cicatrices éternelles, ces marques laides qui portent toutes son nom et qui tatouent sans pitié l’âme et le corps de John et qu’il a peine à regarder désormais – ma faute, ma faute, ma faute.
Qu’importent les intentions. L’Enfer est pavé des meilleures qui eussent jamais existé et cela n’a jamais rendu la route moins douloureuse à parcourir, ni les larmes qui la souillent moins salées.
Il lui faudra juste la parcourir dans l’autre sens, à présent.
Le veilleur embrasse du regard une dernière fois la silhouette immobile et quitte la pièce à pas feutrés, laissant la respiration lente de l’endormi au bon soin des ampoules pâlottes et des murs silencieux. Ce dernier frémit un bref instant mais le sommeil est un ami exigeant qui, sans protester, garde en son sein ceux qui recherchent l’oubli ou la rédemption – John Watson se rendort, bienheureux et oublieux de la réalité cruelle où les morts ont une voix tremblante qui demande pardon.
Inconsciemment, il préfère le néant.
A son chevet, une rose rouge se fane lentement.