kandai_suika: (cherik)
[personal profile] kandai_suika


Titre
: La Maison des morts
Auteur : [personal profile] kandai_suika
Fandom : Sherlock '09
Personnages/Couple : Sherlock Holmes/John Watson, John Watson/Mary Morstan
Genre : angst, dark
Rating : PG-13
Disclaimer : Arthur Conan Doyle, Guy Ritchie
Warning : Mort de personnage canonique. Maladie terminale. Hallucinations. Tentative de suicide.

Note : Originellement posté en octobre 2012. Non relu.
Continuité : The Great Hiatus UA. Spoilers du deuxième film.
Taille : ~1,900

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Deuxième Acte.

r e m é d i a b l e


Rien n'est mort que ce qui n'existe pas encore
Près du passé luisant demain est incolore

Cortège – Apollinaire, Alcools.

Ces vieux murs sont plus pâles que dans ses souvenirs défaillants. Peut-être est-ce dû aux rideaux ouverts, un changement bienvenu dans l’atmosphère poussiéreuse – doucement, Watson, ne me brusquez pas ! suivi d’un cri outrageusement dramatique et du bruit mat d’un corps s’effondrant sur le plancher encombré – ou à l’âge qui vieillit les maisons aussi bien que les hommes, il ne sait que dire. Ses pas s’étouffent sur le tapis dégagé de tout objet encombrant – c’est bien trop propre et ordonné pour que cela paraisse familier et pourtant, il y a cet appel suspendu dans l’odeur renfermée de ses anciens quartiers qui lui tire les entrailles, ce sentiment touchant qui vous fait penser avec nostalgie : « Je suis à la maison. »

Chaque fissure éveille des souvenirs doux-amers, chaque meuble rappelle à sa mémoire branlante des dialogues dont il n’a aucune certitude qu’ils se soient tenus dans cette pièce. Imagine-t-il vraiment Holmes étalé sur la peau de tigre, ses membres étirés formant un pentacle grotesque et lui s’esclaffant depuis le canapé à la moindre remarque désobligeante que son compagnon fait, qu’il s’agisse des capacités intellectuelles de Lestrade ou de l’abrutissement progressif des criminels – peu importe, parce qu’ils sont ensemble et que la scène est belle.

Il a de la compassion pour le fantôme de ce John Watson qui réside encore en ces murs. Il voit en lui un homme au rire facile, jambes croisées dans le moelleux de son fauteuil, et dont le regard se perd volontiers sur la silhouette éclatée de Holmes allongé sur le sol. Il se revoit, il réécoute comme un concerto usé ces vieux dialogues qu’il chérit avec ce qui lui reste de ferveur.

Le soleil brille timidement au dehors.

— Ah, dites-moi donc, vieille branche, sont-ce vraiment les malfrats de Londres qui perdent de leur expertise – quoique, ce terme est fort relatif – ou est-ce moi qui deviens meilleur de jour en jour ?

il y avait cet air joueur dans les yeux du détective, une flamme allumée qui dévorait tout sur son passage avec l’ardeur des incendies les plus dévastateurs et cette main qui se tendait vers sa cheville sans pouvoir l’attraper – tout dans cette relaxation rare était invitation à la camaraderie, à la complicité et il n’aurait rendu ces heures passées à paresser ensemble dans le soleil couchant des nuits d’automne pour rien dans le monde total.

Watson rit, avachi sur son fauteuil, ses muscles de médecin encore endoloris par la course-poursuite de la journée. Le soleil qui filtrait depuis les vitres embuées avait cette manière délicate d’attraper ses cheveux pâles dans un poing lumineux et ainsi, démembré dans le rembourrage confortable, sa chemise de travers et son œil encore au beurre noir, il y avait sur son visage solaire des petits airs de lutin des landes, farfadets espiègles qui kidnappaient de jeunes vierges pour faire des farces à leurs fiancés.

— Votre ego ne peut souffrir davantage de compliments, j’en ai peur – il finira par exploser et je devrais encore ramasser les morceaux derrière vous.

un nouvel éclat de rire fendit l’air chaud ; le verre des carreaux résonna comme leurs gorges rauques et les yeux sombres de Holmes se posèrent sur lui en souriant avec ces airs éperdus des temps meilleurs, comme une étincelle d’adoration cachée derrière de hautes murailles.

il aurait voulu répondre à ce regard intense, trouver les bons mots, mais sa tête pesait trop lourd. Le visage renversé d’Holmes se fit tranquille et sa voix lointaine prit chair dans le vide qui les séparait depuis toujours :

— Réveillez-vous, mon vieux.

Appuyé sur sa canne, Watson ouvre ses paupières alourdies par le chagrin et la fatigue dans la lumière déclinante de la pièce. Baker Street n’a plus rien du décor chaleureux de ses mémoires – les quartiers sont redevenus froids, impersonnels et toutes les traces de son amitié avec Holmes ne tiennent plus que dans ces petits trous percés dans les murs et que Madame Hudson n’a pas pu se résoudre à colmater.

Un peu de sel tombe sur sa langue desséchée. Watson avale la larme égarée comme on boirait du vin ; il a la décence de ne pas en réclamer davantage cependant, l’amertume qui se répand dans sa gorge lui apporte un maigre réconfort auquel il s’accroche tel un assoiffé à l’illusion d’une oasis. Il a bien pleuré après l’enterrement de Mary – personne ne saurait reprocher à un homme veuf de pleurer son épouse si jeune – mais son chagrin a sonné délicieusement faux entre les cloisons mortes de Cavendish Place. Ici, pour la première fois depuis longtemps, il se sait sincère dans son désespoir et sa fatigue.

Les masques sont tombés sur le pallier de Baker Street : plus besoin de se cacher derrière les visages d’amitié profonde ou d’époux concerné car même ses fidèles fantômes n’ont pas le courage de le suivre dans ces pièces d’où suintent une odeur malicieuse de putréfaction. Les jours meilleurs de sa pauvre vie sont morts ici et leurs cadavres reposent dans les coins immaculés de la pièce vide ; ils empestent la charogne, ces souvenirs engorgés de sourires, ils empestent les regrets et le mépris subtil de la faiblesse.

Car il est bien faible, ce John Watson qui se tient comme une statue au milieu de cette salle qui a des airs de musée, son esprit trop fatigué a fléchi devant les agressions de son cœur blessé : il est là, vulnérable dans sa folie, toisant les spectres de ses jours heureux sans parvenir à repousser complètement l’envie viscérale qu’il possède de remonter le fleuve du temps à contre-courant, de s’accrocher à ces mirages de paix avant de sombrer à nouveau.

J’aimerais revenir en arrière, regrette le docteur avec douleur.

Il aimerait être ce fantôme de lui-même qui ricane bêtement, assis dans son fauteuil usé ; il prendrait le courage qui lui manque pour traverser l’espace ridiculement réduit – immense comme la galaxie – qui le divorce de cette silhouette étalée sur le sol, il prendrait son cœur battant à toute allure et irait le déposer au pied de son idole renversée, il prendrait ses mains fermes pour les serrer autour de la poitrine secouée d’Holmes – et jamais, jamais, je ne le laisserais partir.­

Peut-être son ami aurait-il frémi sous ses gestes impulsifs, peut-être aurait-il été effrayé par la ferveur si facilement lisible sur son visage, peut-être même l’aurait-il repoussé en riant, son regard perdu quelque part entre l’affolement et la plaisanterie – parce qu’imaginer Holmes aussi affectueux, aussi lumineux que ses souvenirs sans fondements tendent à le dépeindre tient presque de la chimère.

Ou peut-être aurait-il simplement souri en déclarant qu’il savait depuis toujours – c’était Holmes, après tout – et que leurs lèvres auraient fini par se rencontrer pas si fortuitement, à mi-chemin sur les sentiers de brebis où elle s’était égarées.

Ce sont des beaux rêves qui gisent comme des nuages crevés au plafond de Baker Street.

Madame Hudson s’affaire en bas ; ses cuillères en argent s’entrechoquent sur les tasses de porcelaine fine et les soucoupes remplies de gâteau. Elle va sans doute bientôt l’appeler pour lui annoncer que le thé est prêt : son ancienne logeuse n’aime pas le savoir là-haut, la tête remplie de vieux soupirs, et elle aime encore moins monter les escaliers froids. Elle est seule, Madame Hudson, et plus vieille qu’il ne l’a jamais connue. Ses vêtements sont noirs comme minuit, ses cheveux grisonnent comme la cendre et pourtant, elle ne se départit jamais de ce calme triste qui lui souffle sous le cœur depuis la Suisse.

Combien, combien de temps sans Sherlock Holmes ? Il a perdu le compte des minutes mais se souvient toujours des dates, comme si elles étaient marquées au fer rouge dans sa mémoire. Combien, combien de souffles sans l’entendre respirer en retour ? L’eau les a noyés, ses jolis poumons glacés ; elle a repeint de blanc ses lèvres faiblement roses.

Watson ricane, brisé debout sur le plancher. Les châssis sans vie résonnent avec morbidité les sons étouffés de ses cordes élimées. C’est qu’il a soif, le bon docteur, soif d’un rêve qu’il ne peut plus étancher – et ce besoin le dévore de trop près, lui brûle les entrailles et lui dessèche les artères.

Mais c’est trop tard, évidemment.

Les murs qui transpirent de mépris semblent le condamner.

C’est trop tard, John, disent-il d’une voix pesante qui lui rappelle vaguement le diagnostic trop familier d’un collègue annonçant le décès d’un autre patient. Tu as joué la Dame avant le Roi et l’équipe adverse a raflé le Dix de der. Il faut que tu payes, John, parce que la note va toujours à celui qui reste attablé au restaurant.

Il y a un goût d’injustice qui ne peut s’empêcher de vous envahir l’arrière-gorge quand vous songez que vous êtes le dernier. Watson est amer, aussi amer que le café qu’il boit tous les matins et qui lui fond sur la langue sans le rassasier pour autant. C’est un excellent moyen de rester les yeux ouverts mais rien ne remplace vraiment le sommeil qu’il s’applique à fuir.

Holmes ne dormait pas beaucoup, lui non plus.

— Docteur ? Le thé est prêt, crie la voix altérée de Madame Hudson – à coup sûr, elle a pleuré dans son infusion et il n’aura pas à s’interroger bien longtemps sur le goût étrangement sucré qui pointera dans le breuvage. Il lui répond du bout des lèvres, aveuglé soudainement par la lumière solaire qui perce encore les vitres constellées de gouttes de pluie.

C’est l’heure, alors.

La pièce silencieuse semble pencher, s’incliner vers lui pour recueillir cette invitation ultime qui tombe de ses lèvres gercées par l’air froid de janvier :

— Restez avec moi, cette nuit, s’adresse-t-il à son amitié encore accrochée aux cicatrices dans les murs, aux trous que des décorations futiles ne peuvent tout à fait cacher. A l’image de son propre corps, Holmes a marqué Baker Street et le lien qui les lie à cet endroit est si puissant que Watson espère que son fantôme l’entendra.

Il reste silencieux un moment, rigide dans ses anciens quartiers, puis tourne les talons. Le rêve persiste dans l’air immobile et très loin, il lui semble entendre les rires conjoints d’un Sherlock Holmes et d’un John Watson qui n’existent plus que dans la mémoire des cloisons de Baker Street.

Mais les songes, aussi amers soient-ils, ne sont pas fait pour perdurer. Et le médecin malade aimerait bien se tromper mais peut-être… peut-être est-il temps d’y mettre un terme. Peut-être est-il temps de payer la note et de quitter la tablée.

— Je ne veux pas être seul ce soir, explique Watson, un poids qu’il n’explique pas pesant avec force sur son ventre.

— Je serais là, promet au creux de son oreille le spectre allongé devant la cheminée.

Un petit sourire s’installe sur ses lèvres où reflète l’or tremblant de l’astre solaire et le bruit d’une porte que l’on ferme résonne dans la pièce vide. La poussière volette un instant avant de retomber sans vagues, comme si personne n’était jamais venu la déranger. Dans une autre vie, deux jeunes hommes rient sous le soleil blanchâtre de l’hiver et le docteur voûté qui descend les marches du perron grisâtre s’appuie longtemps sur sa canne.

Demain, dans les cieux sans couleur, il pleuvra sans doute encore.

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