kandai_suika: (jean)
Kandai ([personal profile] kandai_suika) wrote2012-10-07 12:18 am

[fic] La Maison des morts (interlude #1)



Titre
: La Maison des morts
Auteur : [personal profile] kandai_suika
Fandom : Sherlock '09
Personnages/Couple : Sherlock Holmes/John Watson, John Watson/Mary Morstan
Genre : angst, dark
Rating : PG-13
Disclaimer : Arthur Conan Doyle, Guy Ritchie
Warning : Mort de personnage canonique. Maladie terminale. Hallucinations. Tentative de suicide.

Note : Originellement posté en octobre 2012. Non relu.
Continuité : The Great Hiatus UA. Spoilers du deuxième film.
Taille : ~1,500

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Interlude.

d é t a c h a b l e


Le plus jeune en mourant tomba sur le côté

Le voyageur – Apollinaire, Alcools.

En hiver, Londres est une reine.

La ville est morne sous la pluie hivernale qui ravage les rues aussi bien que les passants qui s’y attroupent, masse grouillante de vers informes qui voguent sur des buts éphémères dont l’accomplissement seul suffit à satisfaire les bas-instincts, dans la perpétuelle recherche de cette utopie qu’est le bonheur. L’homme ricane, soudain pris d’un élan de condescendance envers ce monde qu’il contemple dans toute sa misère et un moment, il se prend à se demander à quoi ressemble la félicité de ces illusions.

Délicieux insectes, n’essayez jamais de regarder plus haut que les cieux grisâtres qui contentent votre vue.

Un instant encore, il rêve à cette horreur mouvante d’âmes esseulées qui noient leur tristesse dans les filles de joie et l’alcool bon marché des bars aux ampoules mal éclairées qui parsèment les quartiers drainés par la pluie battante – ah, quelle douceur si tout pouvait être aussi simple que la tendre chaleur d’une femme et les fonds d’éthanol qui brûlent le gosier et brisent la glace, mais rien ne l’est jamais autant et la vie a autant de mérite d’être vécue pour ces épreuves qui s’acharnent à vous barrer les chemins les plus aisés.

Mais ce qu’on ne vous dit pas, c’est que les sentiers de ronces finissent toujours par blesser les pieds.

Ses bottes trempées heurtent les pavés glissants ; sa démarche est celle d’un ivrogne – peut-être est-il réellement ivre, à tituber dans ces rues qui jadis tremblaient sous son pas, ivre d’avoir avalé dans une gorgé seule toute les larmes du ciel et toute l’eau de la Tamise.

Londres est morne dans la pénombre du soir. Les lumières qui bourgeonnent à travers la brume pluvieuse sont autant de lucioles qu’il n’ose pas suivre, rempli de cette crainte enfantine de la brûlure. Le vent froid souffle impitoyablement sur son manteau usé, la pluie glace ses mitaines et il suffit que la roue d’une voiture pressée l’éclabousse pour se retrouver pendant une fatale seconde sous l’eau tourbillonnante, les embruns mortels qui prennent ce délectable plaisir à comprimer sa poitrine, à lui faire perdre le peu de fermeté qu’il possède sur l’objet métallique qui repose contre son cœur et qui peut lui sauver la vie. La minute suivante, il cesse de se noyer mais cette eau qui lui tombe dessus lui laisse un arrière-goût amer et un frisson de panique qui court le long de ses mains crasseuses.

Il s’est noyé, un jour, se souvient-il. Depuis, l’eau n’a jamais eu la même saveur.

Les lampadaires au-dessus de sa tête forment un chemin ponctué d’ombres qu’il suit à l’aveuglette, bousculant sans cesse la foule qui se presse à contre-courant et dépassant parfois les âmes désœuvrées qui suivent le même cours que le sien. Londres est morne, Londres est froide sous la pleine lune qui se lève – c’est l’hiver, la nuit est reine mais il ne neige pas encore.

L’étranger qui s’arrête devant les fenêtres mal fermées de la maison sans lumière ne prend même pas la peine de lever le regard vers l’édifice. A peine regrette-t-il cette absence désolante de vie qui suinte depuis les châssis pour échouer misérablement sur le trottoir, provoquant chez les passants cette révérence typiquement humaine qu’on réserve d’habitude aux morts. Un rideau de silence est tombé sur la porte et quand les yeux curieux se lèvent vers les carreaux sans vie, suivent généralement les murmures peinés de ces badauds misérables :

— 221B Baker Street, n’est-ce pas là que vivait Sherlock Holmes, le détective ?

— Celui qui est mort en Suisse ? Oh, quelle tragique histoire.

— C’était un brillant homme, à ce qu’il paraît.

— Je n’ai jamais eu recours à lui mais ma belle-sœur qui l’a déjà consulté m’a rapporté qu’il était fou à lier. Un vrai lunatique qui savait tout de votre vie en regardant vos ongles. Si vous voulez mon avis, le monde se porte beaucoup mieux sans –

— Il possède une plaque commémorative à Scotland Yard, j’ai entendu. Ma tante l’a vue l’autre jour quand elle est allé signaler la disparition de –

On ne parle jamais trop fort sur le dos des morts. Tout ce qui leur reste, ce sont des chuchotis perdus dans les rues pluvieuses et des ridicules bouquets de fleurs rouges sur une tombe qui n’abrite aucun corps. Et parfois, dans les artères bondées de Londres, on ose parler à voix basse sur le compte des vivants – mais seulement de ceux qui sont assez sourds pour ne plus pouvoir entendre ce qu’on raconte.

— N’y avait-il pas un cabinet ici, également ?

— Oh, oui, je m’en souviens de ce bon docteur, il a soigné ma sœur d’une bien vilaine toux !

— Un bien brave homme que le docteur Watson ! Et toujours aimable, avec cela ! Il m’aura débarrassé de bien des maux, béni soit-il !

— J’ai appris que son épouse avait trépassé récemment et que, suite à son décès, il aurait sombré dans la folie. Ce pauvre homme, c’est réellement injuste de voir un tel –

— On m’a raconté qu’il avait perdu la raison bien avant la mort de sa femme. Mon épouse connaissait feue Madame Watson et elle me rapportait souvent les plaintes de cette dernière à propos de son mari malade. Figurez-vous qu’une fois, elle lui aurait raconté qu’il restait plusieurs heures à parler dans le vide, les yeux hagards, et que plus d’une fois –

— Quelle tragédie, vraiment, que le décès d’une si charmante personne ; on dirait presque que la mort semble s’acharner sur –

L’homme invisible ferme les yeux quelques instants. Les mots cruels et résonnants dans les bouches de ces passants ignares sont autant de coups qu’il encaisse, son corps tendu à l’extrême comme un rempart érigé entre ce qu’il a cru possible et la vérité trop laide. Un moment encore, il est tenté de gravir les degrés qui le séparent du perron immaculé où luit sur une planche de bois noir le numéro terne de l’adresse et de la refermer violemment sur ce monde d’innocentes charognes, dans un futile effort pour préserver le peu de raison qu’il lui reste.

Les portes sont des boucliers de papier, que traverse sans états d’âme le son comme les balles de fusil.

Il se maîtrise, cependant et sa main s’agrippe au métal froid du réverbère qui illumine tristement la rue, parodiant ironiquement un noyé qui tente désespérément de rester la tête hors de l’eau. La comparaison implicite le fait pâlir et ses doigts fébriles disparaissent dans les trous du manteau, à la recherche d’un salut qui tarde à venir.


Où est la réserve d’oxygène ?! Qu’en a-t-il – oh, faites qu’elle ne soit pas tombée, faites que le courant ne l’ait pas emportée, faites que, faites que –

Depuis les cieux couvets, l’eau coule toujours. Sa main gauche se referme sur l’objet glacé caché contre son ventre et cela seul suffit à calmer les battements erratiques de son cœur affolé. Il a réussi, il s’est montré plus fort que l’eau et cette victoire simple fait presque disparaître l’acidité de la bile qui lui remonte dans la gorge. Stoïque et haletant, le front trempé de sueur et de pluie appuyé sur la hampe froide, il supporte la sensation brûlante qui lui ronge le thorax avant de forcer ses pieds engourdis à se mouvoir. Peut-être que s’il veut y faire attention, il remarquera que la goutte qui est venue s’écraser sur sa joue mal rasée dégage une étrange chaleur et meurt avec un goût de sel sur ses lèvres desséchées – peut-être.

L’homme étrange fuit la rue pleureuse comme si la Mort elle-même était à ses trousses. La mélodie bigarrée des pas de la foule le guide dans son errance – et il traînerait presque, fantoche qui court sur les pavés glissants de Londres, il traînerait presque si cela pouvait remonter le temps. Son souffle erratique qui se perd dans la nuit glacée se mêle par moments aux regrets qui lui perforent le cœur, ruines fumantes sur lequel un seul nom règne en tyran.


John – je suis désolé – John – comment aurais-je pu prévoir – John – dites-moi, John, cela fait-il tellement de mal – attendez-moi, John – bientôt, bientôt et je vous promets que – John –

Mais les remords qui l’étouffent aussi fort que l’eau n’y peuvent plus quoi que ce soit et l’ironie du sort est si mordante qu’il jurerait que du sang coule sur sa manche.

Où-est ce la pluie qui saigne ?

Il court face contre l’air nocturne, l’étranger de Baker Street, si vite qu’il ne voit plus les lampes nocturnes défiler – ou bien est-ce déjà l’aube timide qui pointe dans le brouillard de l’hiver qui vient souffler les lucioles une par une ? Difficile à dire, quand la pluie vous aveugle, mais il finit par s’arrêter contre un mur, pantelant, et une main tremblante vient essuyer son front en nage.

Brièvement éclairé par les lumières blafardes de la ville encore endormie, un anneau d’or brille subtilement à son doigt trop maigre.


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