[Fic] La Maison des morts (10)
Jan. 21st, 2013 12:38 pm![[personal profile]](https://www.dreamwidth.org/img/silk/identity/user.png)
Titre : La Maison des morts
Chapitres : 10/13
Chapitres : 10/13
Auteur :
kandai_suika
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Fandom : Sherlock Holmes '09
Personnages/Couple : Sherlock Holmes/John Watson, John Watson/Mary Morstan
Genre : Angst, Dark.
Rating : PG-13
Disclaimer : Arthur Conan Doyle, Guy Ritchie
Warning : Mort de personnage canonique. Maladie terminale. Hallucinations. Tentative de suicide.
Note : Originellement posté en janvier 2013. Non relu.
Continuité : The Great Hiatus UA. Spoilers du deuxième film.
Taille : ~2,300
Troisième Acte.
d i s c t u t a b l e
Tu pleureras l'heure où tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures
A la Santé – Apollinaire, Alcools.
Le front collant d’une moiteur surfaite pour le temps hivernal, Mycroft Holmes consulte sa montre d’un air pincé pour la troisième fois en cinq minutes. Son temps est aussi précieux que limité et il n’a aucune honte à avouer qu’il préfèrerait se retrouver dans un fauteuil confortable, avec un bon cigare et peut-être un alcool fort en main que d’essayer de mettre de l’ordre dans le chaos que son frère s’est appliqué à causer ces derniers jours. Refermant d’un coup sec le clapet d’argent sur le tic-tac agaçant, le gentleman s’efforce de ne pas soupirer au souvenir de son cadet et des inévitables pagailles que ce dernier semble attirer autour de lui. Rien ne sert de se perdre en énervement inutile sur ce que l’on peut décemment considérer comme une fatalité : il s’agit de maintenir ce flegme qui fait la réputation des hommes de sa qualité et de se contenter d’un haussement de sourcil devant les excentricités même les plus grotesques.
Quoique, qualifier de « grotesque » la nouvelle fantaisie de Sherlock était largement sous-estimé : toute personne dans la position de Mycroft aurait depuis longtemps perdu son calme devant pareille entreprise qu’on aurait préféré nommer en des termes moins modérés tels que « Mais pour l’amour de la Reine, Holmes, à quoi pensiez-vous ? »
La réponse à cette question muette qui se balade sur toutes les lèvres de Londres depuis une longue semaine se trouve d’ailleurs en face de lui : elle est blonde, mal rasée, avec la peau trop blanche des gens qui n’ont pas vu le soleil depuis longtemps et ses yeux hallucinés virevoltent entre le gros titre du journal et la rose aux pétales écaillés vautrée sur la table de chevet sobre de l’hôpital.
Mycroft pousse un nouveau soupir et résiste à l’envie d’attraper sa montre une quatrième fois, à celle de tourner brusquement les talons de ses souliers que les rues prisonnières du gel de cette fin de février ont salis et de sortir de ce labyrinthe étouffant de corridors égaux et de demoiselles aux regards sévères, aux sourires tendres, à l’odeur écœurante de désinfectant et de purulence.
Les yeux bleus du bon docteur qui se braquent suffisent à trancher net ses élans de fuite et Mycroft est soudainement sans ailes, fauché par ce regard rougeâtre.
Watson a une mine de déterré : ses mains tremblent légèrement et quelque chose gonfle dans ses poumons légers. État de choc, pense l’aîné, c’est trop tôt, il est conscient depuis quelques jours à peine.
Trop tôt, c’est un constat clair. Mais repousser cette échéance plus longtemps aurait été prendre le risque que Sherlock l’apprenne trop vite et se précipite au chevet de l’inconscient enfin réveillé – et quoiqu’il en dise, plonger dans l’Enfer est une option bien plus plaisante que tenter d’en revenir. Mycroft soupire et se pince l’arête du nez, las de réparer la pagaille que son frère laisse constamment derrière lui.
Il entend déjà son cadet hurler de rage.
— Je suis fou, s’étonne Watson d’un ton rauque.
Rien de plus évident, pense Mycroft avec la condescendance des gens bien-nés. Cependant, il a pitié de la forme recroquevillée du Docteur Watson qui serre le journal si fort que des plis se forment un peu partout sur la feuille jaunie, aussi garde-t-il la réflexion indélicate pour lui-même.
— Je peux vous présenter aux meilleurs spécialistes de la Grande-Bretagne, propose l’aîné des Holmes avec une déférence de façade.
Deux yeux bleus étrangement lucides se posent sur le gentleman – des yeux de fou – et un tic nerveux agite la paupière droite.
— Ma… condition ne date pas de la semaine dernière, rétorque le malade avec une colère totalement justifiée.
Mycroft hausse un sourcil sarcastique.
— Je sais. Reichenbach.
Le mot honni a l’effet escompté : le regard insolent perd subitement de sa couleur et ce sont deux orbes pâles et vides qui se fixent sur les mots atroces de la première page. Mycroft soupire : jouer le méchant n’est pas un jeu auquel il aime se prêter et accabler ce pauvre docteur n’est qu’une torture nécessaire mais qu’il n’a aucun plaisir à dispenser. Les âmes explosées sont décidément trop pitoyables pour son goût.
— Vous êtes conscient que mon frère se précipitera ici dès qu’il saura que vous avez repris connaissance.
Watson se tait un instant, les doigts caressant fébrilement les mots comme un Perceval devant un Graal fantomatique.
— Qu’ai-je donc rêvé, Mycroft ?
L’utilisation de son prénom ne le surprend guère parce que Holmes est pour Sherlock et lui seul – pourtant, il a cet accent désespéré dans les premières syllabes, cette poigne d’acier qui refuse de laisser partir les illusions qu’il lui reste.
Mycroft ignore ce qui s’est passé dans la tête du bon docteur mais une chose est certaine : Sherlock en est la cause et il en veut complètement à son petit frère pour avoir réduit un homme si prometteur à cette coquille d’homme, ce squelette au regard percé en face de lui.
Sherlock, à quoi pensais-tu ?
Son frère répliquerait peut-être en brandissant les prétextes les plus nobles mais Mycroft connaît Sherlock mieux que lui-même : il sait que son frère a simplement eu peur de revenir.
A juste titre. John Watson ferait peur à n’importe qui à cet instant même.
— Je ne peux vous donner que ce que qui est réel, Docteur, assène l’aîné des Holmes avec une tranquillité factice.
Le docteur ne réagit pas mais les plissements au coin de ses yeux se détendent imperceptiblement, adoucissant dans le processus son regard acéré par la folie. Mycroft prend cette réponse implicite pour un oui et commence à parler.
Il raconte la réserve d’oxygène, le plan fou de son frère, l’assistance qu’il a offert à ce dernier dans ces moments dangereux, l’enterrement sans cadavre, la correspondance, le réseau souterrain de Moriarty que Sherlock a méticuleusement démantelé en vivant sous couverture. Il raconte la folie grandissante de John, la mort de Mary, la dépression, les fantômes dans les murs et la tentative de suicide ratée. Il raconte deux hommes, la mort et ce qui ne les a jamais séparés.
A la fin de son récit, Watson pleure sans honte, des larmes silencieuses roulant comme des accusations sur ses joues râpeuses et Mycroft mesure avec un étonnement coupable les dégâts inscrits sur ce corps qui lui apparaît étrangement usé.
Ci-gît John Watson, pense-t-il avec cynisme en contemplant les doigts de la main encore libre trembler sur les draps pâles, méthodiquement mis en pièces par l’esprit le plus brillant du siècle et condamné à sombrer dans ses propres hantises pour expier un crime dont il n’est pas coupable.
Une fin dont il n’apprécie guère la vue, il doit l’admettre.
— Holmes… commence Watson avant de s’arrêter brusquement, ses yeux se faisant de verre.
Mycroft retient un énième soupir que la convenance repousse. Sherlock, qu’as-tu encore fait ? a-t-il envie de demander aux fenêtres closes mais il sait très bien ce qu’il en est.
— Sherlock, reprend le malade avec une répugnance évidente. Il va…
— Il est dans une forme optimale, au vu des circonstances.
— Et où…
— Il s’est arrangé pour reprendre vos anciens quartiers à Baker Street.
— Ah… C’est bien. Les lieux n’ont pas vraiment changé. J’y suis allé…
— La semaine dernière, je sais.
— Bien sûr que vous savez, répond John en haussant les épaules. Vous savez toujours tout.
Il y a une accusation sous l’air désinvolte que Mycroft reconnaît avoir méritée et une question que John Watson ne mettra jamais en mots, même si cela devait être sa dernière volonté. L’aîné des Holmes soupire, reprend sa montre à regret et consulte l’heure. Moins de dix minutes. Moins de dix minutes en la présence de John Watson et il a envie de s’enfuir en courant, de quitter la prison de coton et de murs blancs dans laquelle deux yeux fous l’ont pris au piège. C’est réellement remarquable.
S’il en avait le courage, il s’extasierait sur ce miracle sinistre qui l’enchaîne plus solidement que l’acier à ce siège inconfortable, dans cet hôpital misérable dont l’odeur de mort saupoudrée de désinfectant et d’alcool l’insupporte.
Mais c’est une erreur bien courante que d’assumer que les Holmes sont des lâches invétérés. Cette affirmation n’est vraie que dans le cas où le courage ne sert pas leurs intérêts. Et Mycroft est d’abord et avant tout, un homme d’intérêts.
Sa présence ne fait que s’acquitter d’une vielle dette – non pas envers John Watson mais envers la femme qui jadis fut Mary Morstan.
Le gentleman serre les poings à la vivacité du souvenir qui l’agresse. Il peut presque voir à travers les phalanges serrées du docteur le regard bleuté comme un ciel d’orage et rempli de reproche de l’épouse défunte et remarquable. Il entend dans ce pourquoi jamais mis en voix la même question qu’elle aurait pu poser, eût-elle été encore de ce monde et oh, la douloureuse perspective de devoir cacher une vérité qui aurait paru ignominieuse à ses yeux à elle, une vérité que si peu seraient en mesure de comprendre – et Mary Morstan, malgré toute sa clairvoyance et son intégrité, n’aurait pas compté parmi ces rares élus capables de voir au-delà de ses sourires de convenance et de son ton égal.
La vérité, splendide de tragédie et de laideur, c’est qu’il déteste John Watson.
Cela n’a pas toujours été le cas, évidemment. A dire vrai, il a été reconnaissant, dans les premiers temps, envers le bon vieux docteur au passé plus qu’honorable – il a vérifié – de bien vouloir accorder une chance à quelqu’un d’aussi difficile que Sherlock. Il a même considéré avec gratitude le grain de normalité que John imposait au début à son frère trop excentrique et demandeur pour son propre bien.
Mais Mycroft connaît son frère, encore mieux que lui-même croit se connaître. Il a vu, il y a fort longtemps – il ne se rappelle plus exactement quelle excuse il avait employée pour accaparer cinq minutes du temps si précieux de son frère – les signes : le tic agitant la paupière droite, la lèvre supérieure se courbant vers le haut comme si elle s’était habituée à un tel mouvement, les mains nerveuses qui devaient se retenir de toucher des tissus imaginaires ou des épaules absentes.
Mycroft a probablement été le premier à savoir que Sherlock Holmes avait trouvé quelque chose d’inespéré en son nouveau colocataire, celui-là même qui ouvrait les rideaux sur son passage, appliquait sans douceur des tampons imbibés d’alcool sur les blessures et le suivait comme une ombre dans ses enquêtes les plus inquiétantes. Plus qu’un simple colocataire, un collègue voire un ami – surfaite idée – Sherlock Holmes, en rencontrant John Watson, a gagné une faiblesse.
Le simple concept a de quoi le révolter ; l’homme en personne lui est odieux.
Car John Watson est impossible à haïr : son passé honorable dans l’armée, son professionnalisme doux mais compétent, son ton placide qui cache mal une myriade d’émotions bouillantes, ses yeux clairs qui ne voient rien mais devinent et apaisent… même aujourd’hui, alors que cette âme n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a un jour été, Mycroft voit trop bien ce que Sherlock a cherché en cet homme-là.
Et il le déteste d’être si important, il le déteste d’être le premier auquel son frère pense et le dernier à comprendre ce que tout le monde sait déjà sans oser le dire.
— A quoi pensais-tu, petit frère ?
— Tu sais bien de qui il s’agit. Ne rends pas les choses plus pénibles, Mycroft.
L’aîné des Holmes ferme les yeux, las de ces secrets morbides qui n’en sont plus vraiment. Il ne veut pas se rendre coupable de la mort d’un autre ; son silence a déjà causé trop de peines inutiles.
— Il a fait tout cela pour vous, lâche-t-il avec une amertume dissimulée et observe, non sans culpabilité, la mise grise devenir noire d’une rage où l’espoir ne pointe plus.
— C’est ce que vous voudriez me faire croire, accuse John Watson avec raison.
— C’est la vérité, statue l’aîné et il est debout, soudain, incapable de soutenir plus longtemps le poids de sa jalousie couplé à celui de ses erreurs qui le fixe avec toute la misère du monde dans les yeux.
Le docteur se tait mais son visage lance un millier de messages contradictoires. Les lire tous prendrait des années et le gentleman n’a pas ce temps-là. Il est déjà en retard, du reste.
— Croyez donc ce que vous voudrez, Docteur Watson, mais je connais mon frère, déclare-t-il de sa voix claire et horripilante en guise d’adieu. Il viendra vous rendre visite sous peu, soyez-en sûrs.
Une flamme terrible s’allume dans les yeux morts qui le regardent – elle lui ferait peur s’il ne lui tournait pas déjà le dos, s’il n’était pas déjà hors de cette camisole de quatre murs.
— Je vois des morts depuis Reichenbach, Mycroft Holmes ! hurle la voix d’un dément. Celui-là ne me fait pas peur, vous m’entendez ? JE N’AI PAS PEUR !
La porte claque brusquement dans le couloir fait de murmures et de bruit de pas précipités. Le front toujours couvert de cette sueur qui n’a pas lieu d’exister, Mycroft Holmes soupire dans et ferme une dernière fois le clapet de sa montre. Le jour tombe ; il est en retard et sa main tremble encore un peu.
— J’espère que tu sais ce que tu fais, murmure-t-il, l’air de rien, à un docteur affairé qui traverse l’étage.
Cachés derrière d’épaisses lunettes, une paire d’yeux glacés semble ne pas vouloir lui répondre.